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SUR LES RAILS DE

L'HISTOIRE

Rails & histoire, l'Association pour l'histoire des chemins de fer vous propose de plonger dans l'histoire des chemins de fer au travers de nombreux domaines (législatifs, techniques, commerciaux etc...).Ces thèmes et dossiers seront amenés à évoluer au fil du temps : regroupements ou nouvelles déclinaisons pour les premiers, enrichissements pour les seconds.

Premières migrations de Paris vers la banlieue

Avec le Paris-Saint-Germain naît le phénomène de balancier entre la capitale et la banlieue. Travailler à Paris et résider hors de ses murs est resté longtemps un luxe réservé aux classes les plus aisées de la société. Il faut attendre les années 1880 pour que les ouvriers puissent adopter le même schéma de vie.


Commentant les premiers résultats de la compagnie – une moyenne de 960 voyageurs par jour entre Paris et Le Pecq du 26 juillet au 31 décembre 1837 et jamais moins de 750 pendant les journées les plus glaciales de janvier 1838 –, le Journal des débats du 26 mars 1838 signale en priorité « la révolution » produite par le chemins de fer dans le déplacement des hommes et ajoute : « Ce qui n’est pas moins curieux, ce à quoi on devait moins s’attendre, c’est l’activité qu’ont prise, grâce au chemin de fer, les rapports de Paris avec de minces villages intermédiaires. Jusqu’à présent les trains ne s’arrêtent entre Paris et Le Pecq qu’à Nanterre et à Chatou [depuis le mois d’octobre] : dès l’origine, le nombre de voyageurs fournis par ces deux points n’a cessé de s’accroître, même quand la rigueur de la saison allait toujours croissant » (en moyenne, 234 par jour en novembre, 274 en décembre, 284 en janvier).


Fin 1838, en fin analyste et conscient qu’il ne pourra plus compter sur le vent de la nouveauté qui, l’hiver précédent, avait permis au trafic de se maintenir, Émile Pereire décide à l’approche des premiers frimas de réduire les prix des places pour les gares d’Asnières, de Nanterre et de Chatou afin de diminuer l’impact de la mauvaise saison sur la fréquentation du chemin de fer. Mise en place le 22 novembre, la mesure donne immédiatement l’effet attendu : en moins de deux semaines, le nombre de voyageurs augmente de 61 % par rapport à la période équivalente précédente. Fort de ce résultat, il l’étend à la gare du Pecq en janvier 1839 avec le même effet. Mais Pereire, ainsi qu’il s’en ouvre aux actionnaires deux mois plus tard, pressent que le modèle anglais – travail en ville, résidence à la campagne – se met déjà en place : « Nous ne pensons pas, toutefois, qu’il faille attribuer cette amélioration à l’influence seule du bas prix : les habitudes prises, la régularité du service, la multiplicité des voitures établies au Pecq en correspondance avec le chemin de fer, ont dû également concourir, dans une proportion notable, à cet accroissement. (1) » Cette impression est confirmée l’année suivante : « Depuis que l’attrait de la nouveauté du chemin de fer a disparu, nous avons constaté que les voyages de promenade avaient diminué, pendant que ceux qui résultent d’habitudes prises ou de relations d’affaires, se sont notablement augmentés. (2) »

En gare de Chatou. Résider en banlieue tout en pouvant vaquer à ses affaires à Paris, une option vite retenue par les plus aisés. Coll. AHICF.

On notera cependant ici l’échec des deux tentatives (en 1838 et 1842) visant à établir une gare à Clichy, qui s’explique par la trop grande proximité de Paris pour rompre avec les habitudes du passé, notamment le recours aux nombreux omnibus qui desservent plus finement le cœur de la capitale et à moindre prix. Ceux-ci sont d’ailleurs si efficaces que la compagnie, pour canaliser les voyageurs potentiels vers ses gares, s’emploie à subventionner directement plusieurs services tant dans Paris (entre plusieurs point de la capitale et l’embarcadère de Tivoli puis la gare-Saint- Lazare) qu’en banlieue (entre les


Pas de banlieue sans gares Le cahier des charges annexé à la loi de concession de 1835 spécifiait (article 7) qu’il « ser[ait] pratiqué au moins cinq gares entre Paris et Saint- Germain, indépendamment de celles qui seront nécessairement établies aux points de départ et d’arrivée ». Ces gares sont, par ordre de création :

- Nanterre, fin octobre 1837

- Chatou, fin octobre 1837

- Asnières, le 5 juillet 1838

- Clichy, du 5 juillet au 13 août 1838, puis de juin 1842 à septembre 1844 : ces deux expériences ont avorté faute d’une fréquentation suffisante (à peine plus d’une cinquantaine de voyageurs par mois voire moins) ; elle a été rouverte définitivement le 4 octobre 1869 sous le nom de Clichy- Levallois et en tant que station de la ligne de Versailles RD

- Colombes, le 28 août 1843, au pont de la Puce : elle est fermée en 1851 au moment de l’ouverture de la ligne d’Argenteuil et de la création sur cette ligne de l’actuelle gare du même nom ; l’Ouest ouvre quant à lui en 1857 sur les voies de Rouen, peu après la bifurcation de Saint-Germain, la gare de Colombes Embranchement, accessible aux voyageurs en 1858

- Rueil, fin avril 1844

- Le Vésinet, le 14 avril 1847 : se substitue au terminus de 1837 en tant qu’origine du chemin de fer atmosphérique ; rebaptisée « Le Pecq » en 1861 et « Le Vésinet-Le Pecq » en octobre 1972 lors de la prolongation du futur RER A jusqu’à Saint-Germain-en-Laye

- Le Vésinet, le 1er juin 1861 : devient « Le Vésinet- Centre » en octobre 1972

- La Garenne-Bezons, le 1er juillet 1887, se substitue à la gare de Colombes Embranchement ; elle est rebaptisée La Garenne-Colombes le 27 septembre 1985

- Bécon-les-Bruyères est créée en octobre 1891 en tant qu’origine du raccordement établi entre les lignes de Versailles RD et de Saint-Germain (La Garenne-Bezons) destiné à rendre les voies du Saint-Germain indépendantes de celles de Rouen (raccordement ouvert le 1er juin 1892)

- Les Vallées, le 15 octobre 1897

- La Folie (halte), en 1917 pour la desserte des ateliers du même nom ; renommée « La Folie-Complexe universitaire » au lendemain de l’ouverture, en 1964, de l’université Paris X Nanterre, puis « Nanterre-Université » avec la mise en exploitation, le 1er octobre 1972, du tronçon La Défense-Saint-Germain-en-Laye du RER A


La gare de Saint-Germain-en-Laye date de l’ouverture du chemin de fer atmosphérique le 14 avril 1847.


stations d’Asnières, Nanterre, Chatou et Le Pecq et les bourgades environnantes). Ces services sont gratuits à Paris (c’est toujours le cas en 1843), parfois payants en banlieue (au Pecq notamment).


Le phénomène s’affirme dans les années qui suivent, la fréquentation de la gare du Pecq ne cessant de décroître, celles des « stations intermédiaires » de grimper. Devant les recettes croissantes de ces dernières, la compagnie se dit en 1843 déterminée « à y faire construire des quais au niveau des voitures, et à couvrir une plus grande surface de bâtiments appropriés au service des voyageurs (3) ».


Cette même année, la position de la gare terminus du Pecq est encore fragilisée par l’ouverture de la ligne de Rouen (9 mai pour les voyageurs, septembre pour les marchandises) qui la prive de la plus grande partie des voyageurs que les voitures et bateaux à vapeur desservant les communes au-delà de Saint-Germain lui amenaient. En 1844, et pour la première fois depuis 1837, le trafic de la gare du Pecq est inférieur à celui des gares intermédiaires : 521 306 voyageurs contre 511 827 en 1843 ; 449 707 contre 628 882 en 1844.


L’ouverture de la gare de Colombes le 28 août 1843 a participé à ce basculement. Elle est si prometteuse qu’elle amène la compagnie à réfléchir à l’implantation d’une autre gare à Rueil, desservie jusqu’alors depuis Nanterre par un service de voitures également étendu à Bougival (près de la moitié des voyageurs transitant par la gare de Nanterre sont issus de ces deux bourgades). C’est chose faite fin avril 1844.


Toujours en 1844, la compagnie se réjouit de la valeur des maisons et terrains qu’elle possède en dehors de Paris. Elle détient ainsi près de quatorze hectares de terrain à Asnières, un « point qui, par sa proximité de Paris, par la facilité des communications dont il jouit, et par sa position sur le bord de la Seine, est appelé à prendre un rapide développement (4) ».


La compagnie fonde de grands espoirs sur la mise en service du chemin de fer atmosphérique (1847) pour relancer la fréquentation de Saint-Germain. Pour ce faire, elle consent à n’augmenter le prix du billet depuis Paris que de 15 centimes, soit moins que ce qui était demandé par les omnibus garés au Pecq (25 centimes à la montée et 20 centimes à la descente).


L’étude des statistiques des gares montre une hausse de la fréquentation entre les mois de mai et de septembre sans que l’on puisse savoir si cette augmentation résulte des escapades champêtres des fins de semaine, les villégiatures d’été, ou d’implantations plus durables. Un élément de réponse nous est toutefois donné par Émile Pereire, même s’il se rapporte à la ligne voisine de Paris à Versailles RD. Il fait remarquer qu’après l’incendie du pont d’Asnières en février 1848, et durant l’exploitation morcelée qui a suivie jusqu’en juin, « époque ou s’opèrent toutes les locations de maisons de campagne », « on ne saurait contester qu’un grand nombre de familles n’aient dû, devant cet empêchement dont on ne connaissait pas le terme, abandonner les communes desservies par [la] ligne pour s’établir sur d’autres points (5) ».


Seule une mesure incitative pouvait faire en sorte d’enraciner les populations le long du chemin de fer. Le 15 avril 1845, la compagnie avait ainsi introduit « un système d’abonnement » réclamé depuis longtemps. L’abonnement proposé permettait d’accéder aux diligences (1re classe) au prix des wagons (3e classe). Valable pour les gares situées au-delà d’Asnières, il se présentait sous la forme de billets qui n’étaient « délivrés qu’au nombre de cent à la fois (6) ». Supprimée en 1847 car préjudiciable aux recettes (en baisse) et objet d’abus, son rétablissement en 1850 (formules semestrielle ou annuelle) offre cette fois-ci des réductions de tarif, de l’ordre de 20 % pour Saint-Germain, de 10 % pour les gares intermédiaires (à condition que le prix du billet de base pris en compte soit supérieur à 50 centimes).


Mais ne nous y trompons pas, ce geste bénéficie surtout aux populations les plus aisées. Revenant sur cette facilité, le Journal des


L’immobilier, déjà !


L’arrivée du chemin de fer n’est pas sans répercussion sur le marché de l’immobilier. À Saint- Germain, le château du Val (*), « qui occupe le seul point de la terrasse où l’oeil embrasse l’horizon tout entier », mis en vente depuis plusieurs années, fait l’objet d’une nouvelle annonce publiée par le Journal des débats le 1er juillet 1837, soit quelques semaines avant l’inauguration de la ligne. Le rail y est présenté comme un nouvel atout : « Maintenant qu’un chemin de fer va faire de Saint-Germain une dépendance de Paris, le Val doit fixer l’attention des spéculateurs, qui pourraient y créer pour le plaisir du public, un magnifique établissement, bien supérieur à ceux qui, en Angleterre, existent sur le site célèbre de Richmond. Ce serait, pendant la belle saison, le rendez-vous de tout Paris. » En mars 1838, c’est au tour de l’île de Saint-Germain, située au Pecq « en face du pont, à cent pas du chemin de fer », d’être proposée à la location ou à la vente par voie de presse. « Cette île, précise l’annonce, est également susceptible de devenir un Tivoli pour bals, fêtes et concerts, ou le parc d’une magnifique habitation » (La Presse, 31 mars 1838).


Les logements plus modestes profitent également de la nouvelle manne. Le Journal des débats du 6 avril 1838 se fait ainsi l’écho de la mise en adjudication à Paris, le 21 avril 1838, d’un pavillon et grand jardin situés à Croissy, près de Chatou, avec pour avantage que « les voitures du chemin de fer de Paris à Saint-Germain descendent les voyageurs tout près de cette propriété ». Le même Journal des débats informe le 4 février 1843 que « l’administration des chemins de fer de la Rive Droite (rue Saint-Lazare, 120) vient d’ouvrir, aux abords et dans l’intérieur des salles d’attente de ses gares et stations, des cahiers contenant l’indication des propriétés à louer ou à vendre dans les communes desservies par les chemins de fer de Versailles et de Saint-Germain ».


(*)- Le château abrite depuis 1927 la maison de retraite de la Légion d’honneur chemins de fer du 2 novembre 1850 ne cache pas que le but avoué des abonnements est de « déterminer des changements de résidence, ou tout au moins des établissement temporaires à la campagne pendant la belle saison, établissement devant lesquels reculeraient les personnes que leurs affaires appellent fréquemment à la ville, si les frais de voyage étaient trop élevés ». Et notre chroniqueur de poursuivre : « Chaque été, les campagnes des environs de Paris se peuplent pour quelques mois aux dépens de la capitale ; mais ce déplacement temporaire, quoique marqué, est encore peu considérable. Il n’existe que de la part de personnes qui peuvent payer à la fois un double loyer, à la campagne et à la ville, plus les frais de voiture ; quant aux employés et à toutes les personnes dont la fortune est modeste, il ne s’est pas encore manifesté de leur part aucune tendance à transporter leur domicile hors de Paris ou de la petite banlieue. Ce n’est pas l’envie qui manque […], ce sont les moyens de pouvoir aller plus loin, dans une véritable campagne, et de payer les frais de voyage quotidiens pour venir trouver chaque jour ses occupations à Paris et retourner le soir. »

La Presse, 31 mars 1838

Limités aux voyageurs de 1re et de 2e classe, ces abonnements étaient d’autant moins accessibles qu’ils étaient assujettis à un paiement comptant et au versement d’une caution. Il faut attendre les années 1880 pour que les ouvriers, sous la pression des pouvoirs publics, puissent bénéficier de mesures leur permettant de sortir à leur tour de Paris : le résultat d’une hausse sans précédent des loyers dans la capitale liée à la raréfaction de l’habitat ouvrier (destructions au profit d’immeubles bourgeois) et d’une forte vague d’immigration (provinciaux et étrangers) qui a conduit à rejeter les populations les plus pauvres à la périphérie. La Compagnie de l’Ouest met ainsi en place, en 1884, des billets aller et retour et des cartes d’abonnement hebdomadaires de 3e classe offrant des réductions pouvant aller jusqu’à 80 %. Réservées aux seuls « véritables ouvriers, c’est-à-dire à ceux vivant du travail manuel (7) », ces libéralités sont soumises à certaines règles : billets et cartes ne sont valables qu’au départ de certaines gares de banlieue (ce qui et exclut les ouvriers résidant à Paris et travaillant en banlieue) dont la distance à Paris n’excède pas 15 km et que dans un nombre limité de trains (à l’aller, les deux premiers du matin ; au retour, un autre à la mi-journée et tous ceux compris entre 6 et 8 h le soir). Par dérogation, les ouvrières sont admises le matin dans un train arrivant à Paris vers 8 h « de manière à leur éviter l’obligation de quitter leur ménage à une heure trop matinale ».


La règle des 15 km excluant de nombreux ouvriers (8), la compagnie crée pour eux des abonnements ordinaires de 3e classe et leur en facilite l’accès en leur offrant la possibilité d’échelonner leur paiement (en trois fois pour les abonnements annuels en 1890, mensuellement quelle que soit leur durée en 1898). Plus onéreux pour l’ouvrier, les abonnements ordinaires de 3e classe ont cet avantage de leur donner accès à la plupart des trains sans contrainte d’horaires.


Cependant, avec le temps, le régime des cartes hebdomadaires devient plus souple. Ainsi, en octobre 1918, leurs détenteurs sont autorisés à prendre : à l’aller, tous les trains en direction de Paris jusqu’à 11 h ; au retour, tous les trains en direction de la banlieue à partir de 11 h. Quant aux billets aller et retour, s’ils sont plus restrictifs le matin, car limités aux trains circulant avant 8 h, ils sont plus souples au retour puisque valables à partir de 12 h.


Bruno Carrière


1- Assemblée générale du chemin de fer de Paris à Saint-Germain, 1er mars 1839.

2- Idem, 2 mars 1840.

3- Idem, 25 mars 1843.

4- Idem, 17 mars 1845.

5- Assemblée générale du chemin de fer de Paris à Versailles RD, 27 mars 1849.

6- Assemblée générale du chemin de fer de Paris à Saint-Germain, 17 mars 1845.

7- L’idée d’étendre la mesure aux employés de bureau est catégoriquement rejetée par la compagnie en 1887 ; ceux-ci attendront 1899 pour obtenir satisfaction, sous condition salariale.

8- Elle n’est levée qu’en 1900

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