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SUR LES RAILS DE

L'HISTOIRE

Rails & histoire, l'Association pour l'histoire des chemins de fer vous propose de plonger dans l'histoire des chemins de fer au travers de nombreux domaines (législatifs, techniques, commerciaux etc...).Ces thèmes et dossiers seront amenés à évoluer au fil du temps : regroupements ou nouvelles déclinaisons pour les premiers, enrichissements pour les seconds.

1942-1946. Les véhicules électriques des services de factage et de camionnage de la SNCF

Avec la guerre, les correspondants chargés des services marchandises de factage et de camionnage de la SNCF rencontrent de sérieuses difficultés par suite de l’immobilisation de leurs véhicules faute de carburant. Pour y remédier, celle-ci confie à la SCETA, sa toute nouvelle filiale, la mission de leur venir en aide par l’introduction de véhicules électriques à accumulateurs. De 1942 à 1946, quelque 300 unités sont réceptionnées en dépit des obstacles liés à la pénurie de « matières ». En permettant le retour en force du thermique, la fin de la Deuxième Guerre mondiale condamne à terme une expérience pourtant considérée à ses débuts comme « une solution d’avenir ». La SNCF solde ses derniers véhicules électriques en 1958.


Fourgon SOVAL de 3 t de 1939 employé aux services de factage et de camionnage de Paris (région Ouest). Collection J-N Raymond

Héritière des grandes compagnies, la SNCF reçoit en 1938 la charge d’assurer la livraison des marchandises depuis la gare de destination jusqu’au domicile du client ou, inversement, leur ramassage. Si le transport terminal s’effectue en grande vitesse (GV), on le qualifie de « factage » ; en petite vitesse (PV), il prend le nom de « camionnage ». Pour les livraisons éloignées, on parle de service de « réexpédition » qu’il s’agisse de marchandises en GV ou en PV[1]. Pour répondre à ces tâches, la SNCF recourt, comme ses devancières, à des « correspondants » locaux, entrepreneurs de transport privés sous contrat.


Au tout début des années 1940, dans le contexte de l’occupation allemande, l’un des épineux problèmes auxquels la SNCF doit faire face en la matière résulte de la difficulté pour ses correspondants de maintenir à niveau leur capacité de transports, attelages hippomobiles (loin d’avoir disparus) ou flottes automobiles (fourgons, camions). Tous affrontent, outre les réquisitions, les pénuries en fourrage, en carburants et lubrifiants. Plus grave, ils sont ouvertement accusés de n’avoir rien fait pour y remédier. Ainsi, en octobre 1941, le secrétariat d’État aux Communications du gouvernement de Vichy attribue les dysfonctionnements apparus dans les services de factage et de camionnage au fait que les correspondants, convaincus de bénéficier d’« une sorte de monopole », ont cru jouir d’un privilège dans la répartition des carburants et lubrifiants, ce qui les a incité à ne pas adapter leurs véhicules à l’emploi de produits de remplacement. La SNCF prend leur défense, répondant qu’il ne s’agit là que de « cas isolés » ; que, confrontés aux difficultés d’approvisionnement, nombre de ses correspondants ont opté pour un retour à la traction hippomobile bien que ce choix se soit vite heurté à la difficulté de trouver une nourriture suffisante aux chevaux ; et que ceux restés fidèles à la traction automobile ont, dans leur grande majorité, suivi les consignes édictées. Tout au plus reconnaît-elle qu’ils se sont plutôt orientés vers le gaz de ville de préférence au gazogène (bois, charbon de bois, coke ou anthracite) qui s’accommode mal aux arrêts nombreux et aux changements de vitesse fréquents inhérents à un service urbain de distribution. Elle s’engage, cependant, à rappeler à l’ordre ses correspondants. Mieux, elle se prononce en faveur de l’adoption de véhicules électriques dont la production, amorcée au cours de la Première Guerre mondiale pour des raisons analogues, s’est affirmée dans les années 1920-1930. La SNCF s’appuie en cela sur quelques exemples locaux et surtout sur les expériences qu’elle a menées en 1938 et 1939 dans le cadre d’une réorganisation du factage et du camionnage de l’agglomération parisienne. Ces expériences s’étaient conclues par l’acquisition auprès de la Société de véhicules électriques (SOVEL) de 30 fourgons de 2,5 t qui avaient pour avantages une grande facilité d’entretien, une consommation en huile minime, une faible usure des pneus, un silence appréciable et une absence totale de « vapeur ». Moins rapides que leurs homologues à essence, ils compensaient ce défaut par une plus grande rapidité dans le démarrage. En outre, ils revendiquaient un prix de revient kilométrique inférieur (2,84 F contre 3,01 F).


Fourgon SOVAL de 2,5, photo publiée dans Le Génie Civil du 24 mai 1941 avant les commandes massives de la SCETA. Collection Rails & histoire


Pour répondre à son ambition, la SNCF lance en décembre 1941 une enquête auprès des correspondants des 45 localités les plus importantes afin de connaître le nombre et le type de véhicules électriques qu’ils seraient susceptibles d’utiliser. Leurs réponses permettent d’établir sans plus attendre un programme d’équipement portant sur 250 unités, soit 160 fourgons GV (de 2 à 3 t) et 90 camions PV (de 5 à 7 t). Il faut s’ajouter à ce décompte les 30 fourgons GV et 60 véhicules PV nécessaires aux besoins des services de factage et de camionnage de la Région Ouest de Paris. Soit un total de 340 véhicules. L’enquête relève aussi que seulement 24 % du parc automobile utilisé par les correspondants interrogés est équipé pour l’utilisation de carburants de remplacement, ce qui va dans le sens de l’accusation portée en octobre par secrétariat d’État aux Communications.


La mise en œuvre du programme est confiée à la Société de contrôle et d’exploitation de transports auxiliaires (SCETA), filiale nouvellement créée pour prendre en charge, au 1er janvier 1942, toutes les questions relatives aux transports autres que par le rail. Parmi ses missions figurent notamment l’organisation et la gestion des opérations de factage et de camionnage des villes de plus de 20 000 habitants. La SCETA devient ainsi l’interlocutrice privilégiée des correspondants aux prises à des difficultés croissantes. Plusieurs sont d’ailleurs sujets à des défaillances suffisamment graves pour que la SCETA soit amenée, comme à Bordeaux ou Marseille, à leur substituer de nouvelles sociétés, dans le capital desquelles elle n’hésite pas à entrer au même titre que les principaux acteurs du monde du transport local (transporteurs routiers, sociétés de location de véhicules, transitaires, etc.). Précisons ici que la SCETA, comme la SNCF avant elle, exploite en régie, à Paris et dans sa banlieue, les services de factage et de camionnage relevant de la région de l’Ouest, et exerce un contrôle étroit sur la Société de transports automobiles industriels et commerciaux (STA) et la Société France-Transports-Domicile (FTD)[2], qui se partagent les services parisiens équivalents des autres régions (Nord, Sud-Est et Sud-Ouest pour STA[3] / Est pour FTD). De même, la SCETA assure directement les destinées des services de factage et de camionnage de Lyon et Villeurbanne.


Fourgon SOVAL de 2,5 t de 1942. Les phares sont partiellement occultés du fait de la défense passive, tout comme les plaques signalétiques sur le coffre des batteries et sur le pare-choc avant peintes en noir. Doc. Fondation Berliet

L’examen du programme, tant par la SCETA (12 janvier 1942) que par la SNCF (25 mars 1942), donne l’occasion de déclarations qui prennent tout leur sens aujourd’hui. Président de la SCETA, Pierre Getten « souligne que l’équipement en véhicules électriques est, non seulement une solution actuelle imposée par la pénurie d’essence, mais, au moins dans les villes importantes, une solution d’avenir ». Paraphrasant Roger Guibert, le premier directeur général de la SCETA, Robert Le Besnerais, directeur général de la SNCF, écrit dans la note remise aux administrateurs pour l’occasion : « Le véhicule électrique n’est pas une solution provisoire imposée par les circonstances, mais bien, pour les services urbains, une solution définitive qui, lorsque l’essence sera revenue, continuera à présenter d’importants avantages.». 


En charge du dossier, Roger Guibert juge la démarche primordiale pour les correspondants « dont la situation peut devenir critique ». Il estime que, faute de pouvoir recourir durablement aux chevaux, la solution doit venir du gaz comprimé ou de l’électricité. L’emploi du premier ne peut s’envisager, dit-il, que pour les correspondants disposant déjà de camions et dans les localités où un poste d’alimentation au gaz existe (ou peut être installé). Pour les autres cas, l’option du véhicule électrique est toute indiquée, sous réserve cependant qu’il s’agisse d’une exploitation d’une certaine importance, le seuil de rentabilité d’un poste de charge exigeant un minimum de 4 à 5 camions. Conformément au résultat de l’enquête, il se prononce pour une première commande de 340 véhicules. Des contacts sont pris auprès des constructeurs pour connaître leurs prix, disponibilités et délais. La commande semble devoir être répartie entre les firmes SOVEL, CODER (entreprise des frères Coder), VETRA (société des Véhicules et tracteurs électriques) et SCF (Société centrale de chemins de fer et d’entreprises). Sont également consultés les constructeurs de batteries et l’entreprise EVR (Éclairage des véhicules sur rail) pour la construction des postes de charge. Certaines de ces sociétés ayant développé des filiales de location de véhicules électriques, la solution visant à leur confier l’alimentation des futurs fourgons et camions n’est pas écartée, la construction d’un poste de charge nécessitant de longs délais.


Se pose aussi la question des modalités d’acquisition des véhicules, tant par la SCETA pour ses besoins propres que par les correspondants. Pour ces derniers, deux voies sont retenues : l’achat des véhicules auprès de la SCETA (sur leurs deniers mais à un tarif préférentiel) ou leur prise en location toujours auprès de la SCETA. En définitive, la grande majorité des correspondants optera pour la location. Et, afin d’éviter que les correspondants-propriétaires soient tentés de revendre trop favorablement des matériels obtenus à un prix préférentiel, une clause à leur contrat les oblige à s’adresser en priorité à la SCETA en cas de repli ou de cessation de leurs activités. Le financement des véhicules est scindé en deux parties : 35 millions pour couvrir les besoins directs de la SCETA (90 véhicules pour le service de Paris, 15 pour le service de Lyon, 25 pour le service de Bordeaux, 30 pour les autres services + les postes de charge) et 50 millions pour couvrir ceux liés à l’achat des véhicules destinés à la location. Les 35 millions sont couverts pour partie par les ressources propres à la SCETA, pour partie au moyen d’une augmentation de son capital[4] ; les 50 autres millions par un emprunt d’une durée de dix ans consenti par la SNCF à la SCETA[5].


Fourgon SOVAL de 2,5 t, photo publiée par La Revue générale des chemins de fer de mai-juin 1942. Collection Rails & histoire

Forte de ces données, la SNCF intervient dès le mois de février 1942 auprès du secrétariat d’État aux Communications afin d’exposer ses besoins urgents en véhicules électriques et sa décision de confier à un organisme unique – en l’occurrence la SCETA – le soin de centraliser les commandes. Il apparaît cependant que la priorité de traitement espérée sera difficile à obtenir. Le manque de matières premières strictement contingentées se fait vite sentir. En juin, le contingent de « bons-matière » alloué à la construction, en 1942, de 800 véhicules électriques (dont 340 pour la SCETA) est réduit dans la proportion de trois à un. En juillet, un arrêté dicté par les autorités allemandes (le cuivre et le plomb nécessaires aux batteries sont utilisés pour la fabrication des munitions) interdit toute production de véhicules en France à compter du 1er octobre en zone occupée, du 1er janvier 1943 en zone libre. Ce qui conduira la SCETA à intervenir afin d’obtenir quelques « adoucissements » à cette mesure.

En août 1942, la SNCF adresse au secrétariat d’État aux Communications un premier bilan. À cette date, toutes les commandes ont été passées. Conclus entre mars et juin, les marchés portent sur 5 véhicules de 1 t, 219 véhicules de 2 à 3,3 t, 76 véhicules de 6 t et 40 tracteurs de 5 à 7 t. Les commandes ont été réparties entre trois constructeurs :

  • SOVEL pour 240 véhicules (143 engins de 2,5 à 3 t, 57 engins de 6 t, 40 tracteurs de 5 à 7 t) ;

  • VETRA pour 69 véhicules (50 engins de 2,8 à 3,3 t et 19 engins de 6 t) ;

  • SCF pour 31 véhicules (5 engins de 1 t, 26 engins de 2 t).


Les livraisons commencent à peine, soit avec un retard de deux mois environ sur le calendrier initial : 8 engins seulement ont été livrés en juillet par SOVEL au lieu des 30 prévus ; la cadence normale n’est envisagée qu’à partir de septembre. Un décalage « qui est la conséquence de la réduction du contingent final de monnaie-matière attribués aux constructeurs et de la priorité accordée aux transporteurs des Halles de Paris pour l’équipement en véhicules électriques ».


La SNCF insiste auprès du secrétariat d’État sur ses besoins en véhicules électriques. Elle rappelle qu’à Paris, le parc affecté aux services de factage et de camionnage est de 84 chevaux et 435 véhicules automobiles. Parmi ces derniers, 58 recourent toujours à l’essence et 377 sont équipés pour fonctionner au gaz comprimé (269), au gazogène (61) ou à l’électricité (47). Si la situation est encore acceptable, la mise en service de nouveaux véhicules s’impose. Une partie notable des camions alimentés au gaz comprimé « sont à limite d’usure » et certains services de factage, assurés normalement par automobiles (comme le transit entre les gares), sont assurés par wagons, ce qui nuit à la rapidité de l’acheminement des colis. En province, la situation est encore moins bonne. Le parc compte 1 404 chevaux et 813 véhicules automobiles dont 540 camions à essence.


Au 1er janvier 1943, 39 véhicules ont été livrés. Mais, dans le détail, la vérité est tout autre. Par véhicules livrés il faut entendre châssis. En réalité, à cette date, seules 14 unités sont effectivement en service, 8 sont en attente (de leurs batteries ou pneumatiques) et 17 en carrosserie. Elles sont majoritairement attribuées à Bordeaux et Marseille ; viennent ensuite Nantes, Paris, Vincennes, Douai, Roubaix et Dieppe.


En fait, la SCETA a dû revoir ses prétentions à la baisse à la demande de l’occupant. La commande ne porte plus que sur 155 unités contre 340 initialement et n’intéresse plus que 27 villes contre 46. Et encore a-t-elle dû batailler ferme pour atteindre ce quota comme elle l’indique lors de la réunion annuelle de ses cadres de mars 1943 : « Pour obtenir ces 155 véhicules, il nous a fallu faire de nombreuses démarches et interventions auprès des organismes et administrations publiques (…). Il nous a fallu discuter ces véhicules presque un par un, étant en concurrence avec des organismes puissants également prioritaires, comme la Ville de Paris et le Syndicat des transporteurs des Halles. » Dans l’immédiat, précise-t-elle, l’apport des premiers véhicules électriques permet d’assurer les services de plusieurs grandes villes « sans aucune défaillance dans des circonstances de plus en plus difficiles ». Sur le plan technique ceux-ci donnent satisfaction : « Il y a eu quelques avaries, à Bordeaux, sur des véhicules SOVEL, d’autres plus fréquentes avec des véhicules SCF (notamment à Lille), mais au total les immobilisations de véhicules sont restées tout à fait minimes par rapport à l’ensemble du parc en service. »


La SCETA veille particulièrement à leur bon entretien, qu’ils soient loués ou vendus. Une démarche essentielle à ses yeux pour que « la vie des véhicules ne risque pas d’être raccourcie ». Leur dissémination sur tout le territoire national rend la tâche difficile. Aussi désigne-t-elle un délégué directement rattaché à sa direction centrale pour veiller au grain, en collaboration étroite avec les services techniques qui, dans chaque région, s’occupent du parc automobile des services routiers voyageurs. La SCETA n’hésite pas non plus à faire appel au savoir-faire les sociétés de location de véhicules électriques. Le 22 juin 1942, elle signe un contrat en ce sens avec la Société nantaise d’exploitation de véhicules électriques industriels, qui va lui servir de référence à la conclusion de contrats d’entretien identiques pour d’autres villes.


Fourgon SOVAL de 1946 de 2,5 t. Collection J-N Raymond

Au 1er mai 1943, 39 unités sont effectivement en service. La SCETA annonce que SOVEL a remis tous les châssis prévus au programme de 1942 alors que VETRA ne commencera à produire les siens qu’en août[6]. De son côté la SCF, en retard dans ses livraisons, ne donne pas entière satisfaction : ses châssis « sont équipés pour des batteries différentes de celles prévues à la commande. Il surgit de ce chef de grosses difficultés qui entraînent encore des délais supplémentaires, avec de nouveaux fournisseurs.


Dans les derniers mois de 1943, grâce aux « tours de force étonnants » des constructeurs, de SOVEL tout particulièrement, la commande est portée de 155 à 215 puis 224 unités (soit les deux tiers de la commande initiale de 350). Plus prosaïquement, la SCETA a dû accepter une majoration « assez importante » du prix des châssis, ceci expliquant cela.

Au 1er novembre 1943, le nombre de châssis livré se monte à 116, dont 58 effectivement en service, les plus gros contingents étant réservés aux villes de Bordeaux, et Marseille, suivies loin derrière par Angers, Dieppe, Douai, Grenoble, Hyères, Nantes, Nancy, Nice, Roanne, Roubaix, Vincennes, Lyon et Paris.


Au 1er janvier 1944, le bilan s’établit comme suit : 134 châssis livrés, 72 véhicules en service, 63 en carrosserie. De nouvelles élues apparaissent comme Lille, Mézières, Saint-Omer, Suresnes-Puteaux, Toulouse, Tourcoing.

Les livraisons de châssis s’échelonnent au rythme d’une dizaine d’unités environ chaque mois. » Absente en 1942 et 1943, la firme CODER livre ses premières unités en mai 1944. Son arrivée compense la disparition de la SCF remerciée en octobre 1944, « les véhicules fabriqués par cette entreprise ayant donné lieu à des mécomptes ».

En mai 1944 toujours, le nombre des commandes passe de 224 à 244 unités. La répartition entre les constructeurs depuis 1942 s’établit comme suit : 212 pour la SOVEL, 14 pour VETRA et 5 pour CODER.


En juin 1944, la SCETA signale les premières difficultés liées aux événements : « Les sorties d’usine continuent encore, mais les camions fabriqués ne sont plus expédiés et restent soit à Paris, soit à Lyon. D’autre part, quelques correspondants ont renoncé à l’achat du véhicule qu’ils désiraient acquérir. » Aucun châssis n’est livré entre juillet et septembre et un seul véhicule mis en service. Par contre, 7 unités sont déclarées détruites ou volées par l’ennemi. Après une très légère reprise en octobre-novembre (période marquée, par ailleurs, par une pénurie de batteries et de pneumatiques), la production de châssis s’interrompt en décembre pour ne reprendre qu’en juin 1945.


L’euphorie de la victoire aidant, la SCETA fait montre d’un bel optimisme : les livraisons du constructeur de batteries TUDOR (le point faible des véhicules) se font plus régulières[7] ; la reprise de la fourniture des postes de charge par EVR est attendue pour juin 1945 et celle des pneumatiques pour l’automne. Au point qu’elle commande un supplément de 53 unités, à savoir 43 à SOVEL (33 de 2,5 t et 10 de 6 t) et 10 à la société des Forges et ateliers de Lyon (FAL)[8] (de la marque STELA), ce qui porte la commande totale à de 244 à 297 véhicules.


Au 1er avril 1947, 263 véhicules sont en service, dont 63 directement exploités par la SCETA pour ses services de Paris (région Ouest) et Lyon, les autres par les correspondants (131 en location et 69 en toute propriété).


L’Exercice 1948 de la SCETA annonce la fin prochaine du programme : « La réalisation du programme d’équipement des correspondants de la SNCF en véhicules électriques était presque terminée en 1947 et les deux derniers véhicules restant à livrer après la réduction des commandes[9] l’ont été en mars 1948. En fin d’année, sur les 297 véhicules du programme, 268 étaient en service, 16 ayant été vendus à des tiers, 7 détruits, 2 transformés, 1 réformés et 3 véhicules étant immobilisés.». 


La lecture de l’Exercice 1949 confirme l’information selon laquelle un certain nombre de véhicules ont été vendus, en particuliers 26 tracteurs cédés au fur et à mesure de l’usure de leurs batteries. D’autres sont immobilisés, faute de trafic. La situation s’établit comme suit :

  • véhicules achetés par les correspondants 81

  • véhicules achetés par divers 11

  • véhicules transformés à essence 2

  • véhicules réformés 1

  • véhicules loués 129

  • véhicules en régie 45

  • véhicules immobilisés 16

Total 285


Cependant la fin de la pénurie en carburants rend ces matériels moins attractifs. Un rapport en date du 12 avril 1951 précise que la SCETA ne loue plus que 122 camions électriques à ses correspondants. Année après année la flotte (engins en propriété propre et en location confondus) s’amenuise : 43 unités fin 1952, 11 fin 1955 (vendues ensemble en 1958).


Cette fin prématurée de l’expérience électrique n’est pas une surprise. Guibert s’en était expliqué dès 1946 lors de la réunion annuelle des cadres de la SCETA : « Pour ce qui concerne l’équipement futur des correspondants, nous sommes un peu à un tournant et il convient de procéder à une sorte de conversion de l’économie de guerre en économie de paix. Pendant la guerre, nous avons équipé en véhicules électriques un grand nombre de services, faute de pouvoir acquérir des véhicules thermiques. Il s’agit aujourd’hui de reclasser ces véhicules et de les placer dans les villes où ils sont le plus économique. Sur ce point, notre formule de location se révèle d’une expresse souplesse puisqu’elle nous permettra de muter les véhicules d’une ville sur une autre. Il convient donc d’étudier dans quelle ville il est possible d’utiliser le plus rationnellement les véhicules électriques, soit par suite de configuration géographiques, soit par suite de l’importance du parc.».


En fait, si l’ultime commande de véhicules électriques passée en 1947 (vite annulée) fait encore illusion, il ne faut pas oublier que la SCETA s’était souciée début 1945 du rééquipement des correspondants en matériel « à moteur thermique ». Cette réflexion s’était concrétisée, dès l’été, par une démarche officielle faite auprès des ministres des Travaux publics et de la Production industrielle portant sur la commande, pour Paris et sa banlieue, de 185 camions, plus de 500 tracteurs et de 1 200 remorques ; pour la province, sur 600 camions. Le tout à livrer entre juillet 1946 et la fin de 1947. Certes, s’il s’était encore agi de remplacer en priorité les quelques véhicules à essence toujours en circulation et ceux convertis pendant la guerre pour l’utilisation de sources d’énergie de substitution, on ne peut s’empêcher de penser que cette première « déferlante » portait déjà en elle la condamnation à terme des véhicules électriques.


Bruno Carrière



Sur les caractéristiques des véhicules électriques et leur alimentation se reporter à la pièce jointe : « La traction électrique par accumulateurs », Renseignements hebdomadaires SNCF, n° 61, 20 novembre 1942.





 

La SOVEL, premier fournisseur de la SCETA en véhicules électrique

Émanation de la Société anonyme Véhicules électriques industriels créée en 1925 sous l’égide de la banque Schlumberger, la Société des véhicules électriques / SOVEL voit le jour en 1926 à la suite du changement de dénomination de son aînée à l’occasion d’une augmentation de capital. Si son siège social est à Paris, accueilli dans les emprises de la banque Schlumberger, ses ateliers se situent à Saint-Etienne. La SOVEL devient rapidement la spécialiste du camion électrique pour l’enlèvement des ordures ménagères. À la fin des années 1930, elle équipe près de quarante municipalités en bennes à ordures à accumulateurs. Avec la guerre, la traction électrique connaît un développement considérable De quoi intéresser la puissante Compagnie générale d’électricité (CGE) qui, en 1940, acquiert la moitié du capital de la SOVAL. Sous son impulsion une usine plus importante est implantée dans la région lyonnaise, à Villeurbanne, où est transféré le siège social en 1941. La production passe d’une quarantaine de camions par an à huit cents. Toujours en 1941, un troisième site de montage ouvre près de Paris, à Ivry-sur-Seine, détruit par un bombardement allié fin 1943. Avec 800 véhicules construits en 1942, la SOVEL atteint son apogée. L’extension à la zone libre de l’interdiction des autorités allemandes de construire des véhicules électriques conduit à la fermeture des ateliers de Saint-Étienne fin 1943. Les contraintes administratives liées à la pénurie de matières rendent l’usine de Villeurbanne pratiquement inopérante. Après un sursaut en 1945-1946, la SOVEL, frappée par la concurrence des véhicules thermiques, amorce un déclin ponctué en 1969 par son rachat par la Société d’équipement, manutentions et transports (SEMAT) et sa dissolution en 1977.

La principale rivale de la SOVEL a été la société VETRA (Véhicules et tracteurs électriques) qui, fondée en 1925 par la société Alsthom, fut leader des trolleybus jusqu’en 1964, date de la disparition de la marque.


Pour en savoir plus sur l’historique de la SOVEL : Jean-Noël Raymond, SOVEL « Des camions électriques pas comme les autres » 1925-1977, 2013.


 

[1] Le client conserve, bien entendu, la liberté de prendre possession de ses marchandises (ou de les déposer) directement à la gare.


[2] Pour ses besoins, la société FTD avait passé en 1941 commande de 14 camions électriques de 5 t auprès de SOVEL.


[3] Pour l’Est, STA agit en tant que sous-traitant de la Compagnie générale des voitures (CGV) qui en est le concessionnaire.


[4] Augmentation de 21 millions entérinée par les AG de la SCETA du 16 novembre 1942 et 16 janvier 1943. Son capital passe ainsi de 14 091 000 F à 35 227 000 F.


[5] Approuvé le 30 septembre 1942 par le secrétariat d’État aux Communications.


[6] Elle ne livrera ses deux premiers châssis qu’en novembre 1943.


[7] En 1946, rappelant la faible autonomie des batteries en temps de guerre, la SCETA annonce l’arrivée de batteries « cuirassées » d’un coût supérieur de 20 % mais d’une autonomie accrue de 50 %.


[8] Commercialisées sous marque STELA (Service de la traction électrique légère et agricole).


[9] Allusion à une ultime commande de 7 véhicules en 1947 qui aurait porté le parc de 297 à 304 unités.

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