Article publié dans les Renseignements hebdomadaires SNCF, 12 novembre 1943, n° 108
Les bombardements aériens que nous connaissons peuvent maintenant trop souvent entraîner, en quelques minutes, l’anéantissement de villes entières et, par conséquent, de tous les services publics, administratifs ou hospitaliers. Il en résulte un véritable exode des habitants qui fuitent, souvent à peine vêtus, l’incendie et les explosions des bombes à retardement. L’organisation des secours aux blessés, leur dégagement des décombres, opérations fort délicates, sont rendues encore plus difficiles du fait que le personnel spécialisé est lui-même sinistré et que la plupart des moyens à mettre en œuvre sont détruits ou neutralisés par la rupture des canalisations d’eau, de gaz et d’électricité. Et l’on ne peut guère compter sur l’aide des municipalités d’alentour, qui ne disposent généralement ni des réserves ni des moyens exceptionnels requis.
Création du train S.I.P.E.G.
La destruction de la ville de Lorient posa pour la première fois, dans toute son ampleur tragique, le problème de l’assistance rapide aux populations sinistrées. Pour y faire face, avec des moyens puissants, le Service interministériel de Protection contre les événements de guerre (en abrégé : S.I.P.E.G.) demanda à la S.N.C.F. d’aménager un train de secours pouvant être acheminé rapidement avec un personnel spécialisé au plus près du point sinistré. Conçu initialement pour ne comprendre que 3 voitures destinées à apporter des secours en argent [1], des distributions de repas chauds et de vêtements, le train s’adjoignit bientôt des moyens sanitaires et de déblaiement. Actuellement, il réunit tous les éléments correspondant aux différentes organisations semi-privées d’assistance : Croix-Rouge, Secours National, C.O.S.I.[2] ainsi qu’aux services publics intéressés par la protection de la population civile : Service des Réfugiés, Défense passive, Secrétariat à la Jeunesse (équipes nationales). Il transporte également des représentants des divers ministères ou commissariats (Production industrielle, Reconstruction immobilière…) spécialement chargés d’inventorier les besoins des sinistrés et de préparer la mise en route d’opérations d’une urgence moins immédiate (points textiles, matériaux légers de construction).
Description du train
Dans sa formule actuelle, le train comprend :
– un fourgon à vigie centrale contenant du matériel de literie et des réserves diverses ;
– deux wagons du type pour transport d’automobiles et utilisés l’un pour le matériel de déblaiement (groupe compresseur et marteaux pneumatiques, chalumeaux oxhydriques, grues, palans, crics, pelles, pioches, lampes à grande puissance), l’autre pour des voitures sanitaires et des motocyclettes de liaison ;
– un fourgon à vigie centrale dont les compartiments sont aménagés pour recevoir les réserves alimentaires de la voiture cuisine ; 2 groupes électrogènes, l’un à 24 volts, l’autre à 110 volts, sont installés dans le local central de la vigie désaffectée et constituent une véritable centrale électrique pouvant assurer au cours des stationnements : l’éclairage du train, la recharge éventuelle des batteries d’accumulateurs et le fonctionnement des aspirateurs et des appareils de radiologie ;
– une voiture « Magasin » servant d’entrepôt à une collection complète de 15.000 effets classés par taille et par catégorie et pouvant vêtir entièrement 1.500 sinistrés (vêtements, sous-vêtements, linge de corps, chaussures) ;
– une voiture « Cantine » dont les 8 fourneaux à 2 marmites disposés dans une vaste salle centrale permettant de distribuer 5.000 repas par service. Deux locaux encadrant cette salle contiennent, l’un le combustible nécessaire (bois et charbon : 3 tonnes) ; l’autre des réservoirs d’eau potable (2.400 l.) et 4.000 couverts ; mission
– une voiture « Administration » avec bureaux de commandement et du service des réfugiés, ainsi que des compartiments à couchettes pour le personnel ;
– une voiture « Mères et Enfants » comprenant : 1 salle d’accouchement, 1 chambre de repos (accouchées), 1 crèche et salle de change (dépôt de layette), 1 biberonnerie-tisanerie (1.000 biberons stérilisés) et 2 compartiments à 4 couchettes pour le personnel ;
– une voiture « Chirurgie » comprenant : 1 salle de stérilisation et de pharmacie, 1 salle d’opérations avec matériel opératoire complet, 1 salle de pansement et de préparation des opérés et 2 compartiments, l’un 2 couchettes pour le chirurgien et son assistant, l’autre à 4 couchettes pour les infirmières [3] ;
– une voiture « Hospitalisation » équipée de 30 couchettes amovibles, pour l’hospitalisation provisoire des opérés. L’accès des blessés sur les brancards s’effectue par de larges portes ménagées sur les faces et débouchant dans une salle d’où ils sont : soit hospitalisés, soit dirigés par les soufflets sur la chirurgie [4].
Toutes les voitures, sauf cette dernière, proviennent de voitures du type A2c2L de la Région Sud-Est dont les aménagements ont été remaniés, voire complètement transformés pour répondre à leur nouvelle utilisation. La voiture « Hospitalisation » est une voiture sanitaire dont les aménagements ont été améliorés ou complétés [5].
Fonctionnement de l’organisation et mise en service d’un 2e train
Les installations sanitaires comportent tous les appareils désirables et font de « l’ensemble Croix-Rouge » un véritable hôpital ambulant permettant les opérations chirurgicales les plus délicates.
Ajoutons que le personnel de la défense passive comprend des spécialistes du bâtiment qui peuvent encadrer les équipes de déblaiement et de sauvetage.
Le train constitue ainsi un moyen puissant permettant à un personnel bien entraîné, et que le sinistre n’a pas atteint, de prendre en mains le cas échéant la direction effective des secours de tous ordres ou d’épauler sérieusement l’action des organisations locales.
Le train est sorti des Ateliers de Voitures de Villeneuve-Saint-Georges le 7 juin ; un second, mis aussitôt en chantier, en est sorti le 31 août.
Leurs interventions soulignent, hélas, le martyre de plusieurs villes françaises : Le Creusot (du 20 au 24 juin) ; Le Portel (les 9 et 10 septembre) ; Nantes (du 16 au 18 septembre et du 24 au 27 septembre).
Chaque fois, leur action fut particulièrement efficace et appréciée : des dizaines d’interventions chirurgicales, des centaines de blessés pansés, voire quelques accouchements, enfin des milliers de repas chauds et de vêtements distribués.
Le train n° 1, garé à Lyon, doit intervenir normalement dans les parties Sud et Sud-Est du pays ; celui n° 2 , garé dans la région parisienne [6], est destiné plus particulièrement aux parties Nord, Ouest et Sud-Ouest ; leurs zones d’action étant séparées par une ligne jalonnée sensiblement par Saint-Dié, Chaumont, Clamecy, Cahors et Pau.
L’efficacité des moyens de secours, ceux d’ordre chirurgical notamment, est d’autant plus grande que le train peut être acheminé plus rapidement. Chaque organisation tient donc prête en permanence les roulements d’équipes nécessaires. En cas de sinistre, il suffit à l’un des dirigeants du S.I.P.E.G. d’alerter par téléphone la S.N.C.F. et les responsables de ces organisations. En moins de 3 heures, le personnel, alerté à son tour, soit par téléphone, soit par les postes de police, est transporté au quai d’embarquement. De son côté la S.N.C.F. a prévu, à l’avance, toutes les dispositions pour que le train puisse être dirigé avec toute la célérité possible sur n’importe quelle destination.
Ajoutons que ces moyens viennent d’être complétés par un autorail « Bugatti » aménagé pour constituer un dispositif de secours léger (chirurgie, déblaiement). Celui-ci est sorti des Ateliers de Villeneuve-Saint-Georges le 20 octobre.
Cette organisation représente une des plus belles et généreuses réalisations sorties de nos ateliers. Elle nous a valu, il n’y a pas longtemps , des compliments particuliers du Maréchal Pétain, à la suite de sa visite de l’un des trains. « Je rends hommage, a-t-il écrit à notre Président M Fournier, à la rapidité avec laquelle la S.N.C.F. a effectué les travaux de préparation et d’aménagement de ces trains, et au soin apporté à l’équipement de leurs voitures. Je vous en exprime toute ma satisfaction et vous prie de transmettre mes félicitations au personnel qui a collaboré à cette œuvre si importante et si utile… »
[1] Cette tâche incombe à la Direction des Réfugiés. De 1 000 à 1500 F par sinistré.
[2] Comité ouvrier se secours immédiat. Organisme humanitaire créé en mars 1942 sous l’égide des nazis par des syndicalistes au lendemain des bombardements anglais des usines Renault.
[3] Cette voiture comporte également des appareils de radiologie et de transfusion sanguine.
[4] Les deux wagons dédiés aux moyens de déblaiement relèvent de la Défense passive, les voitures « Magasin » et « Cantine » du Secours national, les voitures « Mères et Enfants », « Chirurgie » et « Hospitalisation » de la Croix-Rouge.
[5] Fourgons et voitures, peints en vert, sont revêtus, les uns de la Croix-Rouge, les autres de la cocarde tricolore et de l’écusson du Secours national.
[6] Aux ateliers de Montrouge.
BONUS
Lire l'article sur les trains d'assistance SIPEG, par Bruno Carrière
A bord du SIPEG.
Le quotidien Le Matin publie du 13 au 18 novembre 1943, un reportage de Marc Le Guillerme : « A bord du SIPEG ». Ce récit, divisé en cinq chapitres, est disponible en ligne sur le site de Gallica.
Ci-dessous, les clichés accompagnant ce récit.
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