Il y a 175 ans, le 5 mai 1835, soit un an à peine après le vote de la loi du 1er mai 1834 portant sa création, la Belgique inaugurait son premier chemin de fer à vapeur public entre Bruxelles et Malines (20 km), le premier aussi sur le vieux continent.
Louis Gillieaux, membre de l’AHICF (*)
Cette mise en oeuvre rapide s’explique. La Belgique est alors une toute jeune nation. Mais, en déclarant son indépendance le 18 novembre 1830, elle s’est attiré les foudres des Pays-Bas qui, par mesure de rétorsion, ont fermé l’embouchure de l’Escaut. Cette décision pénalise fortement Anvers qui commerçait beaucoup avec les régions rhénanes via les eaux intérieures hollandaises. Il était donc nécessaire, vital même, de remplacer les moyens de communication qui, avant la révolution, existaient entre l’Escaut et le Rhin.
(*)-Ancien responsable des questions historiques du Groupe SNCB.
Les regards s’étaient alors tournés vers l’Angleterre qui venait de commencer la construction de railways. Après une étude sur place, un rapport s’était prononcé pour la « construction d’une route en fer d’Anvers aux frontières de l’Allemagne ». Développé et fortement appuyé par le premier roi des Belges, Léopold 1er, qui, ancien résident britannique, avait assisté à la naissance du chemin de fer outre-Manche, le projet fut pris en compte par la loi du 1er mai 1834. Il préconisait la création d’un système de chemins de fer ayant pour point central Malines et se dirigeant : à l’Est, vers la frontière de Prusse par Louvain, Liège et Verviers ; au Nord, vers Anvers ; à l’Ouest, vers Ostende par Termonde, Gand et Bruges ; au Sud, vers Bruxelles et vers les frontières de France. On soulignera qu’il était d’emblée conçu dans une perspective internationale, la loi prévoyant qu’il serait raccordé à la Prusse et à la France, sans oublier la Grande-Bretagne, qui pouvait être atteinte par bateau via Ostende.
Au même moment, le principe de l’exécution de ce système ferroviaire par l’État était également décidé.
La construction du réseau, complété en 1837 par l’adoption des lignes de Gand vers Courtrai et Tournai, d’une part, vers Namur et le Luxembourg, d’autre part, est très rapide. La frontière française est ainsi atteinte dès 1842 par l’ouverture des tronçons de Mons à Quiévrain (Valenciennes) et de Courtrai à Mouscron (Tourcoing), celle avec la Prusse en 1843. À cette date, l’État belge peut s’enorgueillir d’avoir déjà construit 559 km de lignes. Et, dès 1846, une relation directe est établie depuis Bruxelles jusqu’à Paris via Valenciennes, sans doute la première du genre entre deux capitales d’État dans l’histoire des chemins de fer.
S’il a été décidé à l’origine de faire réaliser l’ossature du réseau par l’État, le principe de recourir à l’initiative privée n’a cependant pas été exclu, bien au contraire. Le succès et les avantages du rail aidant, les demandes de concessions affluent vite. Les premières sont octroyées dès 1845 à des capitaux anglais. À partir de 1852, ce sont des investisseurs belges puis français qui présentent des projets. Ainsi, en 1854, la banque Rothschild investit dans la Compagnie des chemins de fer de Mons à Hautmont (Quévy) avant d’étendre son influence en prenant à bail l’exploitation de plusieurs lignes par le biais de la Compagnie du chemin de fer du Nord : Charleroi – Erquelines en 1853, Namur – Liège en 1854, Mons – Hautmont et Namur – Givet en 1859. Ces lignes, reliées au réseau ferré français, formaient ce qu’on a appelé le « Nord-Belge ».
1866–1914 : réorganisation et nationalisation, essor technique et internationalisation
Cet enthousiasme initial avait débouché sur une véritable fl oraison de lignes avec des règles d’exploitation différentes. Une harmonisation s’imposait. À cet effet, l’État publie en 1866 un « cahier des charges et conditions générales pour la construction et l’exploitation des chemins de fer concédés en Belgique ».
La fragilité financière des compagnies privées est un autre problème. Elle oblige l’État à se porter à leur secours et, plus grave, conduit parfois celles-ci à se vendre au plus offrant, souvent au détriment des intérêts du pays. Ce qui, à partir de 1870, conduit les pouvoirs publics à se lancer dans une vaste politique de rachat des lignes concédées. Pour beaucoup, c’est « l’affaire » de la Grande Compagnie du Luxembourg qui est à l’origine de ce mouvement. De fait, sur fond de tension entre la France et la Prusse, le gouvernement belge apprend en 1869 que la Compagnie de l’Est français avait conclu un traité visant l’acquisition de la ligne du Luxembourg, trait d’union entre Arlon, Bruxelles et Liège. Redoutant une atteinte à son indépendance politique et économique, il fait voter une loi obligeant les compagnies à solliciter l’accord des pouvoirs publics avant de céder leurs droits d’exploitation à une compagnie étrangère. En 1914, l’État se retrouve ainsi à la tête de toutes les lignes privées, à l’exception de cinq, parmi lesquelles les lignes du Nord-Belge, qui ne seront intégrées qu’en mai 1940.
Abstraction faite de ces problèmes, les chemins de fer belges participent à l’essor économique de la Belgique. La demande de transport s’accroît et nombre d’exploitations industrielles se raccordent au rail, propulsant le pays dans le peloton de tête des puissances économiques mondiales de cette fin du 19e siècle. Artisans de cette évolution, les locomotives bénéficient d’importants perfectionnements techniques : distribution Walschaerts, foyer Belpaire, perfectionnement de la surchauffe par Flamme, etc. Les infrastructures et la signalisation se développent pour la pratique du 100 km/h. La téléphonie et le télégraphe améliorent l’exploitation. La protection des trains en ligne par des appareils de block enclenchés avec les signaux apparaît en 1874. La première cabine de signalisation électrique est installée à Anvers en 1903.
Le transport international n’échappe pas au mouvement. Comment ne pas évoquer ici le rôle décisif du Liégeois Georges Nagelmackers qui, de retour d’un voyage aux États-Unis où il a découvert les voyages de nuit, prône en 1870 un « Projet d’installation de wagons lits sur les chemins de fer du continent ». Le 1er octobre 1872, il fonde à Liège la « Compagnie de Wagons-Lits » et obtient dès le mois suivant de pouvoir faire circuler un premier prototype de sa construction entre Paris et Vienne. Au cours des années suivantes, le centre de gravité de la compagnie – devenue en 1876 « Compagnie internationale des Wagons-Lits » avec siège social à Bruxelles – se déplace vers Paris, origine de plusieurs liaisons internationales, dont le fameux « Train Express d’Orient » en 1883. Plusieurs de ces liaisons, et d’autres trains encore, traversent la Belgique, qui dispose ainsi, dès la fin du 19e siècle, d’une importante ossature de relations internationales multidirectionnelles.
Cette caractéristique rejaillit d’emblée sur les techniques de construction de matériel et d’exploitation : dès cette époque, les Belges sont très attentifs à ce que les normes de construction et d’utilisation de leur matériel remorqué permettent de les utiliser sur les réseaux voisins, rapidement atteints compte tenu des dimensions réduites du pays. L’interpénétration du matériel et la vocation européenne des chemins de fer belges plongent donc leurs racines dans les lointaines profondeurs de l’histoire ferroviaire.
1918 1945 : crise, concurrence et modernisation
Durant le premier conflit mondial, le territoire est occupé à plus de 90 % et un tiers du réseau est détruit. La remise en état se fait toutefois à un rythme extrêmement rapide. Elle s’accompagna d’une importante modernisation dans tous les domaines.
La structure même des chemins de fer de l’État se devait d’évoluer : ceux-ci devaient avoir les caractères d’une entreprise industrielle et disposer d’une autonomie financière. Après de longues discussions, et sous la pression d’une grave crise financière, une loi est votée le 23 juillet 1926, créant la Société Nationale des Chemins de fer Belges, chargée d’exploiter le réseau à partir du 1er septembre 1926.
La nouvelle société entreprend la modernisation de ses matériels voyageurs. Afin de remplacer les voitures en bois peu confortables et peu sûres, elle fait construire différentes séries à caisse métallique, tant pour les services internationaux (séries I) que pour les services directs intérieurs (séries K), semi-directs (séries L) ou omnibus (séries M). Plus lourds, ces nouveaux matériels exigent des locomotives plus puissantes. Parmi celles développées à cet effet, deux méritent une attention particulière : la Pacific type 1 de 1935 et l’Atlantic type 12 de 1939. Cette dernière, carénée, s’approprie la même année le record mondial ferroviaire de vitesse commerciale en parcourant la relation Bruxelles - Bruges à 120,5 km/h de moyenne.
Dans le même temps, la modernisation vise aussi une réduction des coûts d’exploitation, entre autres pour lutter plus efficacement contre la concurrence de la route. Après examen des solutions développées à l’étranger, notamment en France et aux Pays-Bas, la SNCB entreprend ses premières électrifications sous courant continu à 3 000 volts. Une première réalisation voit le jour avec la mise en service en 1935, soit cent ans après la construction de la première ligne en Belgique, d’automotrices quadruples employées aux services directs entre Bruxelles et Anvers. Dans le même esprit, elle expérimente également la formule des autorails à partir de 1930.
À la même époque, l’accent est mis sur les relations France-Belgique avec la création en 1927 du Pullman « Étoile du Nord » Paris-Bruxelles-Amsterdam et en 1929 de « l’Oiseau bleu ». 1930 voit la mise en service, à l’occasion d’une exposition internationale à Liège, du « Valeureux Liégeois » qui couvre les 367 km en quatre heures, revendiquant du même coup la plus longue étape sans arrêt en traction vapeur sur le continent européen. En 1937, enfin, apparaissent les TAR sur les relations Paris - Bruxelles et Paris - Liège.
Les aspects sécuritaires ne sont pas oubliés. La ligne de Charleroi à Namur étrenne en 1933 la première application de la signalisation lumineuse de jour et de nuit (panneaux lumineux fixes) et plusieurs sections de la ligne Bruxelles - Anvers sont équipées en 1939 d’un block automatique pour répondre à la mise en circulation de trains omnibus assurés par automotrices électriques.
1945–2010 : déclin et renouveau
Comme en 1918, les chemins de fer belges sortent profondément meurtris du second conflit mondial. Le pays a été entièrement occupé et les destructions sont très importantes : 2 000 des 5 000 km de lignes sont inutilisables. Mal entretenus, les matériels ont subi de surcroît de graves pertes : sur les 3 500 locomotives à l’effectif en 1940, seules 1 000 ont pu être récupérées.
Pour la seconde fois, la SNCB se lance dans la reconstruction et la modernisation du réseau, essentiel à la remise en marche de l’économie du pays.
L’industrie nationale ne pouvant subvenir aux besoins, 300 locomotives de type 140 « Consolidation » sont commandées aux États-Unis et au Canada, comme ce fut aussi le cas pour l’opération effectuée en France avec les 141 R.
Leur introduction marque toutefois le chant du cygne de la traction vapeur. L’électrification est relancée, rapidement étendue à tous les axes principaux du réseau. Mise sous tension dès 1949, la ligne « ABC » (Anvers – Bruxelles – Charleroi) est parcourue par les premières locomotives électriques belges, des BB du type 101 fortement inspirés d’un modèle français d’avant-guerre essentiellement réservées à la traction des trains de marchandises. Sur les lignes secondaires maintenues, autorails et locomotives Diesel prennent progressivement le relais de la vapeur qui disparaît fin décembre 1966.
En Belgique, comme partout ailleurs, le chemin de fer se heurte à la concurrence de la route. Il ne demeure pas inactif pour autant, se modernisant et se rationalisant partout et chaque fois que possible. Ainsi est inaugurée à Bruxelles, en 1952, la Jonction Nord-Midi qui, traversant de part en part le centre de la capitale, relie en souterrain les gares du Nord et du Midi, un chantier colossal exceptionnel pour l’époque et une véritable première mondiale. En 1984, l’exploitation du réseau est complètement réorganisée avec l’entrée en vigueur du « Plan IC – IR » (InterCity – InterRegio) qui étend le cadencement à toutes les relations.
Mais la concurrence vient aussi de l’aviation. Pour y faire face, la SNCB prend place parmi les réseaux fondateurs du « Groupement TEE », dont les rames rapides commencent à circuler dès 1957. À cette date, la remorque des trains rapides Paris-Bruxelles est assurée, souvent en double traction, par les locomotives Diesel GM/Nohab du type 204 SNCB, plus connues sous le sobriquet de « Gros Nez ». Simple intermède puisqu’elles sont rapidement remplacés par les rames RGP de la SNCF.
Dans ce cadre, l’électrification Bruxelles – frontière française est accélérée : inaugurée en septembre 1963, elle permet d’assurer la relation Bruxelles – Paris sans arrêt en 2 heures 35 grâce à l’emploi de locomotives électriques polycourant belges (séries 15, 16 et 18) et françaises (série 40100). Avec les rames polycourants suisses, ce sont là les premiers pas de l’interopérabilité en traction électrique ! Utilisant les remarquables rames inox et desservies avec qualité par les brigades de la CIWLT, cette liaison sera plusieurs fois densifiée et deviendra la relation-phare de l’ère TEE.
Parallèlement, la SNCB développe son offre transfrontalière de nuit. Dans cette gamme, on relève le tout premier service de trains autos accompagnées sur le continent lancé en 1956, depuis la Belgique vers Lyon ou Munich.
Plus récemment, la Belgique est entrée dans une ère de renouveau ferroviaire. Les chocs pétroliers des années 1970 ont fait prendre conscience des limites du « tout pétrole » et les performances du TGV en France montrent le potentiel de la grande vitesse ferroviaire. À la fin des années 1980, la Belgique se dote d’un très important plan d’investissement baptisé « STAR 21 » (Spoorweg Toekomst – Avenir du Rail, 21 pour le 21e siècle). Ce plan prévoit une modernisation fondamentale dans tous les domaines, incluant la création d’un réseau TGV de la frontière française à celles de l’Allemagne et des Pays-Bas.
La branche (Bruxelles) Lembeek - frontière française est mise en service en décembre 1997, sous 25 KV alternatif et avec la signalisation TVM 430, à l’instar des LGV françaises. Les deux autres branches, vers l’Allemagne et les Pays-Bas, sont inaugurées fin 2009. La Belgique devient ainsi le premier pays européen à avoir achevé ses lignes à grande vitesse tel que prévu au sein du réseau continental : Thalys, Eurostar, le TGV, l’ICE se côtoient quotidiennement à Bruxelles, véritable carrefour central européen du chemin de fer.
Parallèlement, la SNCB met en service de nouvelles locomotives et voitures, pour un service de haute qualité sur les lignes intérieures. Dans le domaine des infrastructures, elle modernise sa signalisation avec la concentration de ses postes de signalisation, dorénavant informatisés. Un réseau RER est également en cours de construction autour de Bruxelles.
Le transport des marchandises a, quant à lui, subi l’effet conjugué, d’une part, de la forte baisse du transport de pondéreux dû à la fermeture des mines et à l’importante réduction de l’activité sidérurgique, et, d’autre part, de la forte croissance du fret routier et autoroutier. A l’exemple des autres réseaux, la SNCB s’est adaptée à cette évolution fondamentale en rationalisant ses méthodes et outils de gestion. Elle a entre autres fortement développé le transport intermodal qui permet d’éviter les longues et coûteuses opérations de transbordement. Cette évolution est cependant toujours en cours, dans un contexte clairement transnational, libéralisé et, peut-être, de prise de conscience environnementale.
Plus globalement, la SNCB s’est fondamentalement transformée pour s’inscrire de façon adéquate dans le nouveau cadre normatif européen et se positionner au mieux dans un marché de plus en plus ouvert. En 2005, elle est devenue un Groupe composé d’une société faîtière, la SNCB Holding et de deux filiales, la SNCB et Infrabel. La SNCB Holding coordonne les activités financières du Groupe, exploite et modernise les plus grandes gares. Elle est aussi responsable des ressources humaines du Groupe, assure la sécurité des gares et dans les trains et développe le réseau informatique et télécoms du Groupe. La SNCB exploite et entretient les trains nationaux, internationaux et de marchandises. Infrabel entretient et modernise le réseau, gère le trafic et agrée les différents opérateurs de transport sur le réseau.
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