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SUR LES RAILS DE

L'HISTOIRE

Rails & histoire, l'Association pour l'histoire des chemins de fer vous propose de plonger dans l'histoire des chemins de fer au travers de nombreux domaines (législatifs, techniques, commerciaux etc...).Ces thèmes et dossiers seront amenés à évoluer au fil du temps : regroupements ou nouvelles déclinaisons pour les premiers, enrichissements pour les seconds.

Quiberon. Le camp de vacances des apprentis du PO

Afin d’offrir à ses apprentis les bienfaits d’un séjour au grand air, la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans ouvre à Quiberon, en 1925, un camp de vacances qui s’inscrit dans le prolongement des colonies de vacances réservées aux jeunes enfants de ses agents.

Bruno Carrière

Fig. 1. Le camp de Quiberon dans les années 1950. Une des nombreuses colonies de vacances alors gérées par la SNCF. Coll. Rails et histoire.

Le dimanche 2 août 1925, en milieu d’après-midi, Maurice Lacoin, ingénieur en chef du Matériel et de la Traction de la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans, inaugure à Quiberon le « Camp de vacances des Apprentis », limité pour l’heure à « des baraquements de bois tout neufs et d’aspect confortable » élevés à la pointe de la presqu’île, route du Conguel. Le but poursuivi ? Récompenser par un séjour d’un mois les plus méritants des quelque 1 200 apprentis de la compagnie, « ceux qui, au cours de l’année, auront obtenu les résultats les plus satisfaisants, mérité les meilleures notes ».


Mais, aussi, de permettre aux jeunes élus de profiter de « l’air généreux » de la station pour se reposer et s’endurcir par la pratique du sport (1). D’une façon plus générale, il s’agissait d’offrir une compensation aux adolescents (apprentis et agents mineurs) n’ayant plus l’âge de fréquenter les colonies de vacances subventionnées par la compagnie.


Ainsi, chaque année, le camp – qui « continue la série des belles œuvres sociales que la Compagnie d’Orléans a entreprises sur son Réseau depuis quelques années et qui sont destinées à l’amélioration physique et morale du personnel » – reçoit une centaine de pensionnaires placés sous l’autorité de M. Chouart, inspecteur de la compagnie, premier directeur des lieux dont il a supervisé l’organisation. Logés dans les « élégantes et claires maisonnettes de bois comprenant des dortoirs, un vaste réfectoire et différentes annexes », ils ont à leur disposition « d’immenses terrains de jeux, des appareils de sport, la TSF, etc. », sans oublier, à proximité immédiate, « la mer avec ses plages, ses roches et ses attractions saines et innombrables » (2).


D’une durée d’un mois à l’origine, les séjours sont limités à quinze jours en 1928, ce qui permet d’ouvrir le camp à un contingent plus important de « campeurs ». Ainsi, de 84 en 1925 (août) et de 186 en 1926 et 1927 (juillet et août), leur nombre passe à 345 en 1928 (juillet et août par quinzaines). Cette année-là, pour la première fois, le camp ouvre ses portes à une poignée de jeunes filles (pupilles et filles d’agents), invitées pour un bref séjour. En 1929, leur présence est définitivement admise, le mois de juin leur étant entièrement réservé. La mixité n’est pas encore d’actualité.


Cette même année sont reçus les premiers pensionnaires désignés par l’Administration des chemins de fer d’Alsace et de Lorraine (apprentis, agents mineurs et lauréats de cours postscolaires) en vertu d’un accord conclu entre les deux réseaux au lendemain des fêtes de la commémoration, les 7 et 8 mai, du 500e anniversaire de la libération d’Orléans par Jeanne d’Arc, manifestation à laquelle avaient participé de jeunes Alsaciens et Lorrains. « 24 heures au Camp de Vacances de Quiberon. » C’est sous ce titre que le P.O. illustré, journal principalement destiné au personnel de la compagnie, consacre au camp quatre des pages de son numéro de juillet 1929. L’auteur du reportage l’a visité au début du mois de juin, ce qui lui a permis de rencontrer la « surintendante » chargée de s’occuper des 42 jeunes filles formant le premier contingent féminin accueilli au camp. Après une brève évocation de l’ancien directeur, dont un « monolithe nu » avec à son pied une plaque de bronze rappelle le souvenir, l’auteur est invité par M. Juillard, le nouvel ordonnateur, à découvrir les lieux. Suivons-le.

Fig. 2. Le camp tel qu’il se présentait en 1929 : « maisonnettes de bois » avec toiture en tôle construites quatre ans plus tôt à l’économie. Le P.O. illustré, no 4 (juillet 1929). Coll. Rails et histoire.

Le camp occupe « une surface considérable, enclose de barrières de bois peint en couleurs fraîches : bleu, blanc, ocre ». Trois baraquements en bois avec toit en tôle, « construits sans luxe inutile, mais avec le goût le plus sûr… et une solidité à toute épreuve (on peut le dire en un pays où la tempête ne respecte rien) », abritent chacun un dortoir. Tout ici respire l’économie : le bois provient en grande partie de traverses réformées ; les moteurs, d’anciennes machines ; les citernes, des wagons désaffectés. Le camp produit sa propre électricité grâce à un groupe électrogène abrité sous un petit hangar où fonctionne sans arrêt une dynamo qui charge une série d’accumulateurs de 240 ampères-heures. Le moteur actionne également une pompe qui puise l’eau dans un puit « d’un diamètre impressionnant » creusé pour parer à l’absence chronique d’eau en été. Le précieux liquide est refoulé dans un filtre, puis dans un château d’eau pour obtenir une pression suffisante. Par ailleurs, huit citernes recueillent jusqu’à la moindre goutte de pluie. Les dortoirs, divisés en chambres de 7 lits, totalisent 98 lits. Ajoutés aux 2 lits de l’infirmerie, le camp peut ainsi héberger une centaine de pensionnaires par quinzaine. Des monitrices – des jeunes filles qui « ont laissé pour quinze jours intérieur, études, relations, pour venir là, rendre service » – et des moniteurs assurent l’encadrement à raison d’un « chef d’équipe » pour deux chambres (3). La cuisine « est nette », tout comme le réfectoire. Quant à salle de lecture, « c’est une merveille, un enchantement blanc et ocre ; un véritable salon ».

Fig. 3. Un cérémonial immuable renouvelé chaque matin : le salut aux couleurs. Le P.O. illustré, no 4 (juillet 1929). Coll. Rails et histoire.

La journée débute par « une sonnerie joyeuse », suivie du rangement des chambrées. Vient ensuite le salut des couleurs : « À l’entrée du Camp se trouve un mât, notre pavillon, avec au-dessous une flamme blanche portant les deux initiales P.O. Chaque matin, sans que jamais cette rapide formalité perde de sa grandeur ni de son caractère, le drapeau est hissé. D’un geste du bras – le salut olympique – où il entre à la fois du respect et de la fierté, les fils et les filles de France saluent. » Suivent les leçons d’éducation physique, les jeux, la promenade, le bain lorsque le temps s’y prête (4). L’accueil des pensionnaires de l’AL conduit à agrandir le camp par l’achat, en octobre 1929, d’un terrain de 1 800 m² sur lequel s’élève bientôt un premier bâtiment en dur qui leur est spécialement dédié. Le P.O. illustré en publie une photographie dans son édition de novembre 1930. Il est présenté comme le prélude à une reconstruction globale des lieux : « C’est dans ce même style – pur breton – que les bâtiments de bois qui ont constitué le camp jusqu’à cette année vont être reconstruits. Les travaux sont d’ailleurs commencés. » En dépit du mauvais temps persistant de l’hiver, les travaux sont menés activement et les nouveaux bâtiments, « construits en moellons du pays et en granit », achevés pour la rentrée de 1931. Cette année-là, le camp reçoit 643 campeurs du 3 juin au 28 septembre.

Fig. 4. Le premier bâtiment en dur est construit en 1930 dans le style « pur breton » pour les fils et filles des agents du réseau d’Alsace et de Lorraine. Le P.O. illustré, no 12 (novembre 1930). Coll. Rails et histoire.

L’inauguration des nouveaux bâtiments n’en est pas moins repoussée d’une année.


C’est le dimanche 14 août 1932 qu’Alfred Margaine, sous-secrétaire d’État aux Travaux publics, assisté d’André Bénac et d’Amédée Henry-Gréard, respectivement vice-président et directeur général du PO, préside à la cérémonie. À cette occasion, M. Juillard, le directeur du camp, est fait officier de l’Instruction publique. Le P.O. illustré se fait l’écho de l’événement dans son édition de septembre. Il s’appesantit notamment sur les nouvelles installations : « Les constructions en granit de Bretagne, style "vieux breton", comportent trois bâtiments (un central et deux en aile) (5), qui comprennent trois grands dortoirs contenant ensemble 18 chambres de 7 lits pour les campeurs et 6 chambres de surveillants avec lavabos pourvus d’eau courante, 2 salles de lecture et de correspondance, d’autres chambres pour le personnel de service, un réfectoire où 150 personnes peuvent prendre leur repas simultanément. Ce réfectoire peut être transformé à volonté en salle de conférences et de spectacle ; bien entendu, il comporte les accessoires usuels : cuisine, office, magasin à vivres, cave avec glacière. La nourriture est saine et abondante. Le repas de midi est ainsi composé : hors-d’oeuvre, plat de viande, légumes, dessert, 33 centilitres de vin, café ; le repas du soir comporte un menu identique, mais avec poisson au lieu de viande, la soupe remplaçant le hors-d’oeuvre du déjeuner : le pain est à discrétion à toute heure du jour […]. Les dortoirs portent le nom de ville, soit du réseau d’Alsace-Lorraine, soit du réseau d’Orléans. Un fait frappe les visiteurs : de chaque dortoir, de chaque pièce, on voit la mer ; par chacune des multiples fenêtres, quelle qu’en soit l’orientation, la vue se pose, se repose sur la mer, les poumons ne respirent que l’air marin. Aussi ne fait-on que traverser l’infirmerie : pas de malade […].


La salle de lecture possède trois bibliothèques abondamment pourvues ; il faut y ajouter TSF, pick-up et piano. » L’éclairage électrique et le téléphone participent à la modernité du camp. L’alimentation en eau, analysée régulièrement, continue d’être assurée par le puit creusé dans le roc en 1925. Un tennis, un portique et un terrain de jeu complètent les installations.

Fig. 5. C’est en 1932 que les nouveaux bâtiments du camp, terminés un an plus tôt, sont officiellement inaugurés. Le P.O. illustré, no 20 (mars 1932). Coll. Rails et histoire.

Le P.O. Illustré publie chaque année les conditions d’admission. Après les apprentis et agents mineurs, après les pupilles et filles d’agents du PO et de l’AL, non employées par eux mais poursuivant des études, le camp s’ouvre en 1931 aux pupilles et fils d’agents répondant au même critère. En 1932, sont acceptés les pupilles, filles et fils d’agents non scolarisés à conditions qu’ils soient encore à la charge des parents. La seule obligation est d’avoir 15 ans au moins et 21 ans au plus. En prévision du grand nombre de demandes, il est recommandé aux parents d’adresser au plus vite une demande à leur chef de service (chef de gare, de dépôt, d’entretien, de district, de magasin) ou à leur chef direct, en l’appuyant des raisons qui leur paraissent motiver le choix de leur enfant, les demandes devant être centralisées six semaines au plus tard avant le début de chaque période. Une participation de 7,50 francs par jour est demandée pour contribuer à couvrir une partie des frais de nourriture.


En 1933, la rotation des différentes catégories de campeurs s’établit comme suit. Elle ne changera pas jusqu’à la guerre. Les apprentis et agents mineurs du PO et de l’AL sont reçus du 17 juillet au 17 août. Les pupilles et filles d’agents le sont du 15 au 29 juin et du 3 au 17 septembre, avec différentiation entre celles ne continuant pas leurs études (première session) et celles poursuivant leurs études (deuxième session). Il en est de même pour les pupilles et fils d’agents admis respectivement du 1er au 15 juillet et du 18 août au 1er septembre. Se suivent ainsi 638 campeurs, dont 234 jeunes filles et 404 jeunes gens. En 1934, 679 campeurs dont 228 jeunes filles et 451 jeunes gens participent au camp, qui s’ouvre aux jeunes du réseau du Midi, rattaché à celui du PO au début de l’année. En 1935, ils sont 611 (195 et 416) ; en 1936, 634 (193 et 441).

Fig. 6. Le premier contingent de « campeuses » est accueilli au camp en 1928. Le P.O. illustré, n° 8 (mars 1930). Coll. Rails et histoire.

Fig. 7. L’orchestre (éphémère) du camp en 1933. Le P.O. illustré, n° 30 (novembre 1933). Coll. Rails et histoire.

Le camp de Quiberon tombe dans l’escarcelle de la SNCF en 1938. En juin 1940, il est occupé par des enfants d’agents venus de la maison de repos du Pas de l’Echelle (Haute- Savoie), préventorium hérité du PLM. Pour faire front aux difficultés de ravitaillement, les enfants (77 garçons et 45 filles) participent au défrichement de 3 000 m² de lande, fougères et genêts et à l’élévation de murs en pierre pour se protéger des vents. A la mi-août, près de la moitié est déjà en culture. Le 19 août, les Allemands réquisitionnent le camp et exigent son évacuation dans les 48 heures.


Le 21, les jeunes pensionnaires quittent les lieux pour Paris, qu’ils rallient le 23. Après une courte période de repos, ils prennent le chemin de la maison de Sermaise (Seine-et- Oise) conservée et entretenue par les sœurs de Saint Vincent de Paul, depuis longtemps engagées auprès des œuvres sociales du PO.


Au sortir de la guerre, le camp rejoint la longue liste des colonies de vacances de l’entreprise.


La Vie du Rail du 31 mars 1957 lui consacre un reportage (6). Depuis lors et jusqu’au transfert des activités sociales au Comité central de l’entreprise en 1986, les bâtiments, faute de travaux importants, ont doucement périclité. Malgré des investissements, l’état général s’aggravant, les élus ont pris la décision en 1997 de faire table rase du passé et de reconstruire sur le site un village de vacances.


Le premier coup de pelle a été donné le 9 janvier 1998 et, dès le 15 août, les premiers estivants ont pu prendre possession des lieux. Baptisé « Ar Marc’h Du » – littéralement cheval noir, nom de la locomotive en breton – le nouveau village a été officiellement inauguré le 15 décembre de la même année.


(1)- Le Phare de Quiberon, 2 août 1925.

(2)- Le Petit Journal, 9 août 1925.

(3)- En 1932, on parle de « surveillantes » placées sous la coupe d’une surintendante pour les filles, d’« instructeurs » pour les garçons.

(4)- En 1933, il est fait mention d’un professeur de culture physique femme pour les jeunes filles.

(5)- Y compris le bâtiment réservé aux pensionnaires de l’AL.

(6)- Voir la page du site de Jean-Michel Desmicht qui recense l’ensemble des articles consacrés aux colonies SNCF par La Vie du Rail (www.jeanmicheldesmicht.com/colo/Colo-SNCF-57-3- 31a.html).

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