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SUR LES RAILS DE

L'HISTOIRE

Rails & histoire, l'Association pour l'histoire des chemins de fer vous propose de plonger dans l'histoire des chemins de fer au travers de nombreux domaines (législatifs, techniques, commerciaux etc...).Ces thèmes et dossiers seront amenés à évoluer au fil du temps : regroupements ou nouvelles déclinaisons pour les premiers, enrichissements pour les seconds.

1932… 1946. Le roi chou-fleur du Léon

Non contents d’avoir participé à la renommée de la péninsule, certains primeurs (choux-fleurs, artichauts, pommes de terre nouvelle) et fruits (pommes à cidre, fraises de Plougastel) ont contribué à améliorer le trafic du réseau ferré breton. Les deux textes qui suivent donnent un éclairage ponctuel mais significatif des expéditions de choux-fleurs au départ du Léon.

Fig. 1. Rigoureusement codifié, le marché aux choux-fleurs de Saint-Pol-de-Léon était une curiosité matinale à ne pas manquer. Coll. Rails et histoire

« Une campagne de choux-fleurs dans le Léon », L’État… notre réseau, n° 11, août 1932


La région du Léon, en Finistère, dont SaintPol-de-Léon est la capitale, constitue le centre maraîcher le plus important de Bretagne et l’un des plus actifs de France. La culture maraîchère s’est longtemps limitée à la presqu’île de Saint-Pol-de-Léon - Roscoff, aux côtes extrêmement dentelées, bordées à l’Est par le magnifique estuaire de la petite rivière la Penzée [sic] et l’embouchure de la rivière de Morlaix. Contre les vents du Nord et du Nord-Ouest, les cultures sont protégées par une immense digue naturelle, l’île de Batz, qui n’est séparée de la terre que par quelques kilomètres. Depuis quelques années, les maraîchers ont étendu la zone cultivée, en bordure de la mer, sur une longueur de 25 à 30 kilomètres et sur une profondeur de 6 à 8. Cette côte est baignée par une ramification du courant d’eau chaude, le GulfStream, qui donne au pays son climat merveilleusement tempéré, où la gelée est presque inconnue. Après avoir fécondé cette terre privilégiée par l’engrais naturel que constitue le goémon, extrait de la mer, les Léonards, grâce à un travail acharné, produisent chaque hiver une récolte de 50 à 60 000 tonnes de choux-fleurs, suivie, à la fin du printemps et au début de l’été, par une deuxième récolte : pommes de terre, artichauts et oignons. C’est le chou-fleur, que les Léonards cultivent depuis plus de 75 ans, qui donne lieu au plus gros trafic. Le tonnage expédié par fer et par mer a atteint 54 050 tonnes en 1931 et 58 000 tonnes en 1932. Une telle abondance exige une sérieuse organisation commerciale. Certains quartiers des petites villes de Roscoff et de Saint-Pol-de-Léon sont appelés les quartiers des « marchands de choux » ; d’immenses magasins y ont été construits. En effet, il ne s’agit pas seulement de couper les choux-fleurs dans les champs et de les amener au marché. Tout un autre travail de « toilette » du produit, de son emballage, de son chargement sur wagon ou de son embarquement sur navire, reste à faire. Il faut aussi chercher des débouchés, organiser la vente. On compte plus de 50 maisons d’expédition organisées pour cette besogne (1). Une Coopérative et un Syndicat viennent compléter cette véritable industrie agricole. Bien connu sur les marchés français et étrangers, le « Brocolis de Roscoff » est un produit parfait, à la pomme blanche, au grain très serré ; il supporte très bien un voyage – en wagon ou en bateau – de plusieurs jours. Aussi, les Anglais et les Allemands, gros consommateurs de ce légume, sont devenus avec les Belges, les Hollandais et les Suisses, des clients qui achètent en Bretagne une part appréciable de la production. Quelques expéditeurs audacieux ont même réussi à exporter le chou-fleur jusqu’en Suède, en Norvège, au Danemark et jusqu’en Tchéco- Slovaquie. Mais la concurrence sur les marchés étrangers devient de plus en plus dure, par suite de l’organisation méthodique, depuis quelques années, de la production italienne parfaitement standardisée. Voici, pour quelques récentes campagnes, un tableau indiquant les destinations données aux choux-fleurs du Léon :

La visite du marché de Saint-Pol-de-Léon, les matins de campagne de choux-fleurs, est très pittoresque. Sur une immense place, dont l’installation a nécessité la destruction d’un magnifique jardin, voisin de la Cathédrale, les charrettes commencent à arriver vers 8 à 9 heures. On en a compté, à certains jours, jusqu’à 1 800 ; des agents de police veillent au bon ordre, chevaux et voitures s’alignent comme pour une parade militaire. Les transactions ne commencent guère que vers 10 heures, à midi tout doit être fini. Aussitôt achetées, les charrettes, en un défilé interminable mais méthodique, prennent le chemin des magasins de triage et d’emballage.


Là, un nombreux personnel d’ouvriers emballeurs prend le produit qui est trié en extra, gros, moyens et petits. Des coupeurs, armés de couteaux spéciaux, font la « toilette » ; d’autres ouvriers rangent les choux-fleurs dans des cageots ; d’autres, enfin, pointent ou cerclent les cageots qui, chargés dans des camions, partent vers la gare ou vers le vapeur qui, du port de Roscoff, met le cap sur l’Angleterre. Tout ce trafic donne à ces petites villes une extraordinaire activité. Routes et rues sont semées de feuilles de chou et tout le pays en garde l’odeur spéciale, que le vent du large, de la mer toute proche, ne parvient pas à dissiper.


Nos gares, celle de Saint-Pol en particulier, présentent aux heures de l’embarquement des choux une activité exceptionnelle. Pour assurer dans les conditions de régularité et de rapidité voulues l’écoulement de la plus grosse part de la production du Léon (les 2/3 environ : 35 189 tonnes en 1930-31, 37 500 tonnes en 1931-32), rien ne doit être laissé au hasard et la préparation de la campagne fait l’objet d’un soin particulier, ainsi que son exécution au jour le jour, rendue particulièrement délicate par les fluctuations parfois importantes du trafic, influencé par la température et les cours des principaux marchés : Paris, Allemagne, Angleterre, concurrence italienne. La physionomie du seul marché de Saint-Polde- Léon, de beaucoup le plus important de la région, renseigne cependant assez exactement sur le chiffre probable des expéditions du jour.


La connaissance du nombre de charrettes introduites sur le marché permet de déterminer approximativement le nombre des wagons et des trains nécessaires à l’acheminement des expéditions de la soirée. La gare de Saint-Pol-de-Léon prend ses dispositions en conséquence ; le matériel vide est réparti sur les différentes voies de chargement spécialisées. La tâche n’est pas, cependant, toujours aisée, et on le comprendra sans peine lorsqu’on saura que la gare de Saint-Pol doit, certains jours, faire face, en quelques heures, au chargement de plus de 100 wagons (2). Les wagons destinés à l’exportation font l’objet de trains spéciaux, tracés de Saint-Pol-de-Léon à Batignolles et vers les frontières, à des vitesses de trains rapides. Il y a presque journellement un train « Exportation », fréquemment deux, quelquefois trois. La plus forte journée de la dernière campagne, on a expédié à l’étranger 62 wagons en 3 trains. Ces transports sont exclusivement assurés au moyen de nos nouveaux wagons à primeurs, du type Fu, qui donnent toute satisfaction. Les wagons « Exportation » partis, il reste à expédier les wagons du trafic français. Deux, trois, parfois quatre trains plus lourds et à marche plus lente sont nécessaires. Les expéditeurs chargent eux-mêmes les wagons complets, mais la gare charge de nombreux wagons de détail – une trentaine – spécialisés suivant les destinations.


Le service des écritures suit pas à pas celui des manutentions et, malgré la complexité de la besogne, tout est prêt au fur et à mesure des départs de trains qui s’échelonnent sur quelques heures seulement. En fin de journée, la place est nette, tout est en ordre jusqu’au lendemain où tout est à recommencer, et cela chaque jour pendant 4 à 5 mois, au bout desquels le Réseau a encaissé une douzaine de millions. Que ne possède-t-il, hélas ! sur son territoire, beaucoup d’autres régions aussi riches !


« Les choux-fleurs du Léon » par Le Cann, inspecteur divisionnaire à Quimper, Notre trafic, n° 19, août 1946


Production et commercialisation


Il est difficile de déterminer l’époque d’apparition de la culture du chou-fleur dans le Finistère ; cette culture s’est longtemps limitée à la presqu’île de Saint-Pol-de-Léon - Roscoff. Elle s’étend actuellement en bordure de la mer, sur une longueur de 25 à 30 kilomètres et sur une profondeur d’une dizaine de kilomètres.


Les plantations échelonnées des différentes variétés permettent d’obtenir des choux-fleurs de décembre à mai – période particulièrement intéressante du fait de la rareté des légumes frais sur les marchés à cette époque de l’année.


La production de 1913, qui se chiffrait à 16 000 tonnes, s’est notablement développée à partir de 1920 pour atteindre de 1930 à 1939 une moyenne annuelle de 50 000 à 60 000 tonnes. Celle production s’est encore accrue durant la dernière guerre. Le tonnage commercial expédié par nos gares du Léon en 1942 n’a atteint, il est vrai, que 35 000 tonnes, mais il convient de retenir qu’à cette époque, pour parer au manque de wagons, les Pouvoirs Publics ont imposé l’expédition de choux-fleurs « effeuillés » et que cette mesure a eu pour résultat de réduire de 50 % le tonnage transporté. Il faut également souligner que le tonnage appréciable prélevé par les troupes d’occupation doit s’ajouter au chiffre de 35 000 tonnes que nous indiquons ci-dessus. C’est donc à 80 000 tonnes qu’il convient d’évaluer la production de 1942 exprimée en chiffres d’avant-guerre. Pour répondre à la demande du Ravitaillement Général les agriculteurs léonards ont encore intensifié leur production et notre campagne 1946 dépasse sensiblement tous les résultats des campagnes antérieures puisque le tonnage des choux-fleurs « effeuillés » expédiés par fer s’élève à 62 207 tonnes, soit, exprimé en chiffres d’avant-guerre, à 124 414 tonnes. […]


Depuis 1939, l’exportation des choux-fleurs par mer, de Roscoff sur l’Angleterre, a été complètement interrompue. Ce trafic maritime, qui atteignait 19 000 tonnes en 1930 et 1931, s’était d’ailleurs amenuisé et ne dépassait guère 2 000 tonnes en 1938 et 1939. Pour les années 1938 et 1946 les tableaux I et II donnent la répartition de la production des choux-fleurs du Léon.

Ainsi qu’on le voit, le trafic d’exportation a été cette année extrêmement faible. Il ne paraît pas douteux que, dès l’an prochain, l’Angleterre et la Belgique, gros consommateurs de choux-fleurs, ne cherchent à reprendre la place qu’elles occupaient avant la guerre dans notre trafic d’exportation des choux-fleurs du Léon. Nous pensons même que la Suisse, la Hollande, le Danemark, la Tchécoslovaquie, nos clients d’autrefois, voudront eux aussi renouer avec nos expéditeurs bretons les relations commerciales qui existaient il y a quelques années encore et qui se traduisaient par un tonnage global de 3 000 à 4 000 tonnes de choux-fleurs. Une seule ombre au tableau : la concurrence routière à grande distance qui s’exerçait vers Paris, Rouen, Le Havre, Lille, Bordeaux, etc., avant 1940 et qui n’attend qu’une plus grande liberté de mouvement pour reprendre, avec la même âpreté, sa lutte contre le rail. Déjà quelques camions lourds ont fait, au cours de cette dernière campagne, leur apparition dans le Léon. Nous devons craindre une extension rapide et massive de la concurrence faite au rail au départ de cette riche région.

Fig. 4. Dans les années 1920-1930, une notable partie de la production était expédiée en Angleterre par bateaux via les ports de Roscoff et de Weymouth. L’État…notre réseau, n° 11, août 1932. Coll. Rails et histoire.

Transport par fer


Nos gares de Roscoff, Plouénan. Taulé- Henvic, et en particulier Saint-Pol-de-Léon, présentent aux heures de l’embarquement des choux-fleurs une activité exceptionnelle.


Pour assurer dans des conditions de régularité et de rapidité voulues l’écoulement de la production […] une instruction spéciale, tenant compte de l’expérience acquise au cours des années précédentes, est publiée par l’Arrondissement, en accord avec la Division du Mouvement, avant le commencement de chaque campagne. Un acheminement différent est prévu pour chacune des périodes de trafic : faible, fort et intense. L’insuffisance des aménagements des gares expéditrices et même de la gare tête de ligne : Morlaix, ne permet pas la constitution, au départ, de trains complets par destination. Saint-Pol-de-Léon ébauche un classement en affectant une voie pour chacune des principales destinations : Batignolles, Vaugirard, Le Mans, Rennes. Les autres gares expéditrices constituent deux lots : Batignolles et autres destinations. Des trains spéciaux effectuent le ramassage entre Roscoff et Morlaix ; les éléments Batignolles sont enlevés les premiers pour permettre leur arrivée à temps à Batignolles pour la réexpédition sur les autres régions. La ligne Roscoff-Morlaix étant à mauvais profil (rampes de 20 m/m) la charge normale de chaque train est limitée à 365 tonnes, ce qui nécessite, en période de très fort trafic, la mise en marche journalière de 7 à 8 trains remorqués en double attelage. La gare de Morlaix rassemble les éléments venant de la ligne de Roscoff et forme des trains de 560 tonnes pour Rennes (rampes maxima 10 m/m). Le triage de tous les éléments est effectué à Rennes qui forme des trains complets de 800 tonnes (rampes maxima 6 m/m) pour : Vaugirard ; Batignolles et réexpédition ; Le Mans et réexpédition ; Nantes et réexpédition. Les éléments pour les autres directions sont reversés dans les trains réguliers. L’exécution du plan de transport est suivie au jour le jour par les services de la répartition et de régulation en raison des fluctuations importantes du trafic influencé par la température. La fourniture du matériel dans celle période critique d’après-guerre présente de grosses difficultés. Nous avons été dans l’obligation d’utiliser des wagons de toutes catégories : couverts, tombereaux et plats (même sans bords), pour les destinations permettant un acheminement de bout en bout par trains complets à marche P.V. (en principe gares d’arrêt des trains directs P.V. de Morlaix à Paris). Par contre, tous les transports à acheminer sur tout ou partie du parcours par train de vitesse accélérée doivent être obligatoirement assurés en wagons étoilés (3) et c’est pour cette catégorie de transports que nous avons connu le plus de difficultés. Pour remédier à la pénurie de matériel étoilé nous avons été amenés à nous entendre avec les Services du Ravitaillement pour constituer, à des dates fixées à l’avance, des trains complets pour un grand centre ou pour deux grands centres relativement assez rapprochés. Par dérogation à la règle habituelle ces trains étaient entièrement formés au départ et remorqués avec machine en tête et machine en queue entre Saint-Pol el Morlaix pour permettre de dépasser la limite d’attelage de 540 tonnes. C’est ainsi, qu’au cours de la dernière campagne, nous avons fait 25 trains dans ces conditions pour Bordeaux, Saint- Etienne, Limoges, Nancy, Saint-Etienne- Lyon, Metz - Strasbourg, Rouen - Le Havre, Lille - Roubaix.


(1)- 80 maisons en 1946 [NDLR].

(2)- Quelque 200 wagons en 1946 [NDLR].

(3)- Wagons aptes au régime accéléré : la charge maximum à l’essieu en RA, en tonnes, figure au centre d’une étoile à cinq branches peinte sur le wagon [NDLR].

Fig. 5. En 1946, l’essentiel de la production est pris en charge par le rail, un monopole que la route va très vite lui contester. Notre trafic, n° 9 (août 1946). Coll. Rails et histoire.

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