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SUR LES RAILS DE

L'HISTOIRE

Rails & histoire, l'Association pour l'histoire des chemins de fer vous propose de plonger dans l'histoire des chemins de fer au travers de nombreux domaines (législatifs, techniques, commerciaux etc...).Ces thèmes et dossiers seront amenés à évoluer au fil du temps : regroupements ou nouvelles déclinaisons pour les premiers, enrichissements pour les seconds.

Brest au temps des transatlantiques (1865-1874)

Dernière mise à jour : 17 mars 2021

Du 25 au 27 avril 1865 les fêtes d’inauguration de la ligne Paris-Brest battent leur plein dans la cité du Ponant. Parmi les invités, on distingue Mathieu Dollfus, représentant la Compagnie générale transatlantique (CGT). Sa présence, ainsi que celle du steamer L’Europe dans le port Napoléon, soulignent la coïncidence entre l’ouverture de la voie ferrée et celle de la ligne Le Havre – New York avec escale à Brest.

Laurent Goulhen

Fig. 1. Le port de commerce de Brest en 1879. Photo Émile Mage/Collection des Archives de Brest.

Une liaison rail-océan


Pour la Compagnie de l’Ouest, « Ce n’est point seulement un chemin de fer qui vient de s’ouvrir, c’est la seconde réunion de la Bretagne à la France qui vient de s’opérer ; c’est le large horizon de l’Amérique rapproché de nous ; c’est la grande capitale mise en rapide et facile communication avec le grand port de guerre de notre pays ! » (1).


L’enjeu est donc triple : « Pour la ville qui, malgré son admirable rade, n’est que le douzième des ports français de cabotage dans l’Océan ; pour la compagnie des paquebots, qui désire que ses escales obligées à Brest soient fructueuses ; pour le chemin de l’Ouest, qui compte rémunérer ses capitaux, par l’échange du trafic international (2). »


Quand cette escale fut décrétée par une loi du 3 juillet 1861, le baron Brenier déclarait au Sénat : « Il est probable que les marchandises seront aussi intelligentes que les sacs de dépêches et qu’elles finiront par prendre le chemin qui conviendra le mieux. La question se décidera lorsque l’achèvement des voies ferrées de la Bretagne aura mis le port de Brest en communication avec nos grands centres de production et de consommation. »


Le service d’escale débute le 3 juin 1865. Bien que l’accostage des paquebots-postes soit possible, ils restent sur rade pour gagner du temps en manœuvres. Des embarcations se chargent de transférer voyageurs, marchandises et dépêches, entre les quais et le steamer.


Désormais la balle est dans le camp des compagnies ferroviaires qui se doivent « d’étudier les combinaisons qui leur livrent presque tout le transit de l’Europe sur l’Amérique, et réciproquement, et un mouvement de millions de tonnes sur leurs lignes ferrées » (3).


Une activité croissante malgré une organisation défectueuse


Les Brestois espèrent convertir l’escale en port d’attache. Leur situation géographique, la navigabilité de la rade et les futures installations portuaires sont des avantages indéniables, mais contrebalancés par une insuffisance de la capacité hôtelière, un temps de parcours de dix-sept heures entre Paris et Brest et un port inachevé.


Pour convaincre l’État de son intérêt économique, on s’attache à relever à chaque escale le nombre de passagers embarqués ou débarqués à Brest, et à dénoncer le « parti pris » de la presse havraise et de la CGT qui ne distinguent pas voyageurs havrais et brestois dans le total des passagers. De fait, la proportion de « Brestois » croît régulièrement, doublant chaque année de 1865 à 1867. Cependant la Compagnie de l’Ouest n’assure pas de correspondance avec les transatlantiques. Ainsi, le 31 juillet 1865, l’arrivée sur rade à 11 h de L’Europe ne permet pas aux 31 passagers débarqués de prendre le train avant le lendemain matin à 7 h afin d’être rendus à Paris à 23 h 40 !


Ses seuls efforts portent sur la création de billets de Paris à New York par Le Havre ou Brest, incluant le prix du trajet en train, et la mise en place du train extraordinaire no 500 pour le transport des dépêches d’Amérique. En janvier 1867, il est doublé par le train extraordinaire n° 28.


Le 5 novembre 1866, l’embranchement entre le port Napoléon et la ligne Paris-Brest est livré à l’exploitation, mais cette amélioration n’influe pas sur le transit transatlantique quasi inexistant pour les marchandises.


Pourtant, la Compagnie de l’Ouest espère tirer profit de l’escale : « L’attache au nouveau port de commerce de Brest, des bateaux transatlantiques, a déjà donné lieu à un certain mouvement de voyageurs parcourant la distance entière de Paris à Brest ; mais ce mouvement n’a pas encore pris un caractère bien prononcé. […] Nous citerons notamment les résultats avantageux qu’a procurés à notre grande ligne de Bretagne l’escale, à Brest, des paquebots de la compagnie transatlantique desservant la ligne du Havre à New-York.


Ce service, qui a commencé le 1er juin 1865, n’était que mensuel, mais, à dater du 15 mars 1866, les départs du Havre et de New-York, avec escales à Brest, se sont succédé tous les 15 jours, de sorte que le nombre de ces escales s’est élevé, pour l’année, à 46, dont 23 dans chaque sens.


Sur un total de 7 150 voyageurs transportés pendant l’année 1866 par ces paquebots, 2 740 (soit 38,25 %) ont emprunté notre ligne entre Paris et Brest, et ont produit une recette d’environ 132 000 F, soit plus du double de celle qui aurait été obtenue si ces voyageurs avaient pris la voie du Havre (4). »


Quant au débarquement sur rade, il peut s’avérer périlleux en hiver : « ce n’est pas chose agréable, une opération bien commode, par une nuit noire, un froid de janvier, une pluie de sud-ouest – à la lumière des fanaux – de sortir de sa couchette, de veiller au transbordement de ses bagages, et de guetter l’embellie pour faire passer sa femme et ses enfants du paquebot sur un petit bateau qui sautille le long du bord […]. Cependant, mardi dernier, cédant au sentiment de conservation, 55 voyageurs sur 66 ont préféré s’exposer à cette opération, qui n’est pas sans danger, que de courir les risques de la traversée de la Manche […] » (5)


Un temps de parcours rédhibitoire


Chaque record de traversée est un événement, comme en août 1866, quand le Pereire relie New York à Brest en 8 jours et 22 heures. Mais ce n’est pas tant sur la navigation que sur le voyage en chemin de fer que l’on peut gagner du temps. Et, de ce point de vue, la voie unique entre Brest et Rennes constitue un réel obstacle.


En juillet 1866, une députation brestoise exprime ses doléances à Napoléon III : « Enfin l’Empereur a écouté avec attention l’expression des regrets de la ville sur la lenteur des communications de Brest avec Paris et sur les sérieux inconvénients qui résultent relativement surtout à la question de l’attache espérée des paquebots transatlantiques au port de Brest : ce trajet exige aujourd’hui 17 à 18 heures, alors qu’il s’exécute en 10 ou 11 heures sur les lignes de Bordeaux et de Marseille. »

Fig. 2. La première gare de Brest au début du siècle dernier. Coll. Laurent Goulhen.

Les horaires se succèdent sans amélioration : « Une autre question, très importante également pour l’avenir commercial de Brest, serait la réduction à 13 ou 14 heures, dans le trajet, sur la voie ferrée de Brest à Paris. Celle-là ne relève directement que de la Compagnie de l’Ouest à laquelle la Chambre de Commerce et la Compagnie transatlantique l’ont bien des fois soumise, mais il se trouvera désormais un autre puissant auxiliaire, selon l’assurance qu’en a donnée Monsieur le directeur général [des Postes, M. Vandal].


Quant au mouvement commercial, il se dessine très lentement, surtout pour les motifs que les paquebots, restant très peu de temps à Brest, il est impossible d’y charger une grande quantité de marchandises. […]


Monsieur Vandal, en terminant son entrevue avec les délégués, leur a annoncé qu’il se chargeait de mettre en rapport les députés bretons avec Monsieur Jullien, à leur arrivée à Paris. Puis, ajoute M. le Maire, il se fera ensuite appuyer de toute l’énergie de l’Amiral près de Monsieur Rouher, afin d’intéresser le Ministre à cette affaire et avoir raison de la Compagnie de l’Ouest (6). »


Effectivement, en 1869, à plusieurs reprises dépêches et passagers des transatlantiques peuvent rallier Paris par un train spécial. Mais la marche des trains-postes n’évolue guère : entre Paris et Rennes, le train circule à 41,55 km/h (arrêts compris), alors qu’entre Rennes et Brest sa vitesse tombe à 32,13 km/h ! Le 12 février 1870, le ministre des Travaux publics refuse d’augmenter la vitesse des trains Rennes-Brest en les rendant directs, car il estime que cela serait dangereux sur une ligne à voie unique et à fortes déclivités. L’argument ne convainc pas : « M. le ministre n’a pas dit la seule, la vraie raison ; c’est que la Compagnie ne veut faire aucun sacrifice pour une section qui ne rapporte presque rien, et former un train direct pour des voyageurs presqu’exclusivement militaires, qui paient quart de place. Mais alors pourquoi invoquer la sécurité des voyageurs quand c’est une simple question d’argent (7) ? »


À la fin de 1871, les demandes réitérées d’accélération des trains-postes demeurent lettre morte. La compagnie se contente du trafic existant : « Les paquebots-poste du Havre à New-York de la Compagnie générale transatlantique continuent à faire à Brest une escale qui donne aux voyageurs le moyen de diminuer d’au moins 18 heures la durée de la traversée. Sur 7 400 voyageurs environ, transportés par ces paquebots en 1869, 2 687 ou 36 %, embarqués ou débarqués à Brest, ont emprunté notre ligne, sur tout le parcours de Paris à Brest, et nous ont procuré une recette de 125 000 francs (8). »


Les années sombres


À partir du mois de mai 1873 deux trains express font le trajet entre Paris et Brest en seize heures, au lieu de dix-huit. Mais cette amélioration arrive à un moment où la conjoncture internationale contraint les entreprises de navigation transatlantique à mener une politique d’économies. De son côté, la CGT réclame la suppression de l’escale, soutenue par les officiers désignés par le ministre de la Marine déclarant « l’entrée de Brest périlleuse, l’escale incommode, dangereuse et inutile ». Alarmé, le conseil général émet le vœu « que l’escale des paquebots transatlantiques en rade de Brest soit maintenue et que le train rapide correspondant avec ces paquebots à leur arrivée d’Amérique soit rétabli » (9).


(1)- Discours d’Alfred Leroux, président de la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest, le 25 avril 1865.

(2)- A. de Toulgoët, Brest, le 27 avril 1865.

(3)- L’Armoricain, 2 mai 1865.

(4)- L’Océan, 12 avril 1867. Rapport du conseil d’administration aux actionnaires.

(5)- L’Océan, 20 fevrier 1867. Article de M. Leroy de Kéraniou, Brest, du 30 janvier 1867.

(6)- Séance du conseil municipal de Brest, 2 janvier 1869.

(7)- L’Électeur du Finistère, 14 mars 1870.

(8)- Assemblée générale de la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest du 30 mars 1870.

(9)- Séance du conseil général du Finistère, 16 avril 1874. Vœu de M. Rousseau.


Le 31 octobre, le ministre des Finances supprime l’escale à la satisfaction du Journal du Havre : « C’est La France qui, samedi prochain, inaugurera le service direct. On voit que ce sera, au départ du Havre que commencera ce nouveau service. C’est un jour de gagné. »

Fig. 3. Publicité pour les paquebots-poste français au départ du Havre et de Brest pour New-York (Le Figaro, 26 avril 1866). Coll. Rails et histoire.

Le maire de Brest ne peut que regretter que les investissements portuaires et l’érection de plusieurs phares n’aient pas été opposés aux arguments de la CGT, mais la décision est irrévocable.


Brest : le temps d’une escale


À la fin du XIXe siècle, la question du rétablissement de l’escale revient épisodiquement, souvent associée à la construction d’une seconde voie ferrée entre Rennes et Brest pour accélérer la vitesse des trains. Décrété par une loi du 14 juin 1897, ce doublement des voies sera achevé avant le 1er janvier 1900. En 1911, le trajet Paris-Brest s’effectue en dix heures.


Dès lors, on se prend à rêver du retour des transatlantiques en analysant les raisons du premier échec, à savoir : la défectuosité des conditions d’embarquement et de débarquement, le défaut de concordance entre les paquebots et les trains et « la durée démesurément longue du trajet » en chemin de fer.


Pour autant, les statistiques établies sur la période 1865-1872 montrent que 43,5 % des passagers venus de New-York débarquaient à Brest et 33,7 % y embarquaient, soit un total de 38 % préférant Brest au Havre.

Fig. 4. Publicité de la Compagnie de l’Ouest parue dans le Guide-Chaix de 1869. Coll. Rails et histoire.

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