L’AHICF s’est tournée depuis deux ans vers une approche de l’histoire et de la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale par l’histoire des individus, à travers un appel à témoins donnant lieu à plus de 200 entretiens enregistrés bientôt en ligne (voir plus haut l’histoire de Serge Bedu) et un dictionnaire biographique des cheminots victimes de la répression, projet collectif qu’elle coordonne. Ces travaux font appel à des archives très différentes, mais aussi… au flair du chercheur.
Cécile Hochard
Nous décrivons ici l’itinéraire suivi pour retracer la biographie d’un cheminot fusillé pendant l’Occupation allemande. Ce jeu de piste combine une connaissance des ressources archivistiques et bibliographiques de la Deuxième Guerre mondiale et une part de hasard.
C’est lors d’un travail sur les évadés de France que nous est apparu pour la première fois le nom de Robert Cloarec, au détour d’un site associatif consacré au réseau d’évasion dirigé, au départ de Carantec (Finistère), par Ernest Sibiril, constructeur de bateaux. Ce site donne la liste des évadés et les dates de leur départ pour l’Angleterre. Parmi eux figurent six aviateurs alliés, dont Ernest T. Moriarty, qui est parvenu à déclencher son parachute le 8 mars 1943. Une requête sur le site des archives nationales américaines où les dossiers de « debriefing » des aviateurs rentrés ont été récemment mis en ligne (cote : ARC Identifier 305270/ MLR Number UD 133) a mis au jour un rapport d’une « Melle Lucienne » résumant les circonstances de son départ pour l’Angleterre, depuis l’hébergement du sergent Moriarty à partir du 13 mars 1943 jusqu’à leur traversée commune à bord du Jean, le 30 mars, ainsi qu’une coupure de presse avec une photo de Lucienne dont la légende précise que son frère « fut fusillé comme otage ». Un autre document donne le nom de Lucienne : Cloarec. Le rédacteur du site associatif nous ayant précisé que le frère de Lucienne Cloarec, alors toujours en vie, Robert, était cheminot, nous sommes partis à sa recherche.
Comment procéder ? En 2010, la Fondation de la Résistance a publié une fiche synthétique, disponible en ligne, décrivant les principaux services d’archives dans lesquels il était possible de trouver des renseignements sur un parent résistant : le Service historique de la Défense – avec le Bureau Résistance (situé à Vincennes) et la Division des archives des victimes des conflits contemporains (à Caen) – et les services départementaux de l’ONAC (Office national des anciens combattants et victimes de guerre) qui conservent les dossiers de « Combattant Volontaire de la Résistance ».
Dans le cas d’un cheminot s’ajoutent ceux de la SNCF qui, en janvier 2012, a publié un Guide de recherches sur la Seconde Guerre mondiale, 1939- 1945 détaillant les inventaires des fonds conservés par le Centre des archives historiques (Le Mans), dont les documents correspondants ont été numérisés et mis en ligne le 15 mars de la même année. Parmi eux, le versement 118LM du Service central du personnel contient de très nombreux documents relatifs aux agents prisonniers de guerre, envoyés au STO (Service du travail obligatoire) ou encore victimes de la répression. La consultation de ces documents – constitués principalement de fichiers établis après la fin de la guerre – a permis de retrouver le nom de Robert Cloarec à deux reprises. Une fiche conservée dans le dossier 118LM110/2 nous fournit des informations d’état civil (né le 11 novembre 1912 à Toulon), son adresse et des données synthétiques sur sa carrière à la SNCF : entré le 9 mars 1937, il occupait un poste d’aide-ajusteur aux Ateliers Quatre-Mares à Sotteville-lès-Rouen. Enfin, elle apporte des précisions sur son arrestation et son exécution : arrêté le 22 mai 1942 pour un motif inconnu (la mention de « port d’armes » a été ajoutée ensuite), détenu à la maison d’arrêt de Rouen, il est exécuté le 28 août 1942 au Grand-Quevilly. La fiche porte enfin la mention de « Mort pour la France ». Le dossier 118LM093/6 relatif aux « Agents membres des Forces Françaises de l’Intérieur tués hors service par faits de guerre (1939-1945). Agents de la Région Ouest » contient une autre fiche à son nom (ci-contre). Elle dispense les mêmes informations que la précédente, mentionne en outre l’adresse de madame Cloarec mère à Morlaix et nous apprend que Robert est considéré comme un « agent de la SNCF FFI signalé comme ayant été fusillé après le 25.6.40 ». Une demande au Centre d’archives multirégional de la SNCF à Béziers, qui conserve les dossiers de carrière et de pension éteintes, a permis l’accès à un dossier exceptionnel de 65 pages de documents relatifs aussi bien à sa carrière qu’à l’établissement d’une pension en faveur de sa mère. On y apprend notamment qu’il commença sa carrière, après une formation technique précoce et un engagement de cinq ans dans la marine, au dépôt de Saint-Brieuc avant d’être affecté au dépôt de Brest, où il est « commissionné » en mars 1939, puis détaché aux Constructions navales à Brest du 5 juin 1939 au 18 juillet 1940, comme beaucoup de cheminots du Matériel qui ont rejoint les industries de guerre. Après un bref retour au dépôt brestois, il est nommé ajusteur-monteur à Sotteville Quatre-Mares le 4 septembre 1940, à l’atelier de chaudronnerie. Concernant son arrestation et son exécution, ces documents nous apportent peu d’informations nouvelles, si ce n’est une lettre adressée au Procureur de la République de Rouen par un responsable des ateliers de Quatre-Mares précisant que Robert Cloarec a été fusillé en même temps que René Béchepay, ajusteur à Quatre-Mares.
Sortons de la SNCF pour consulter les sources conservées par la Division des archives des victimes des conflits contemporains, à Caen. On y trouve un dossier au nom de Robert Cloarec rempli par sa mère, Anne-Marie, afin d’obtenir pour son fils le titre d’« Interné Résistant ». Ce sont ces documents qui nous fournissent les informations les plus détaillées concernant l’arrestation et l’exécution de Cloarec. Il y est précisé qu’il fut arrêté le 22 mai 1942 par la « Gestapo », « lors d’une réunion clandestine de son groupe de résistance » et condamné à mort le 25 août 1942, sans motif officiel sauf qu’« une perquisition dans sa chambre a fait trouver un outil spécial pour déboulonner les rails et un revolver ». Ce dossier contient également diverses attestations d’appartenance à des groupements de résistance : aux FFI, comme FTP du 1er janvier au 22 mai 1942 (certificat délivré le 29 juillet 1947), à Résistance-Fer depuis janvier 1942 (attestation du 25 août 1948) et l’obtention du grade de sous-lieutenant des Forces Françaises Combattantes. On y trouve enfin une copie de la dernière lettre de Robert Cloarec à sa famille.
« Chère maman, sœur et cousines, Je vais être exécuté ce soir sans avoir pu vous voir. Je suis très courageux et ai vu le prêtre et communié, et c’est l’aumônier allemand qui va m’assister jusqu’au dernier moment ; mes dernières pensées auront été pour vous ; j’ai la paix avec Dieu et le monde. Bons baisers à tous. Adieu. Votre fils, frère et cousin.
Robert. »
Puis, pour la deuxième fois, une part de hasard entre en jeu. En lisant l’ouvrage de Pierre Laborie, Le Chagrin et le venin, nous retrouvons, p. 250, le nom de Robert Cloarec. Dans un paragraphe sur les signes de non-consentement face à l’occupant, Laborie accorde une place « aux rassemblements silencieux qui se forment spontanément à l’occasion des enterrements de victimes » et évoque celui de Cloarec objet d’une « manifestation silencieuse spectaculaire face aux Allemands ». Il renvoie à l’ouvrage d’Antoine Lefébure, Les Conversations secrètes des Français sous l’Occupation, paru presque vingt ans plus tôt ; ce dernier cite longuement, p. 303-305, un courrier envoyé à la BBC par Lucienne le 5 octobre 1942, mais intercepté par les services de la censure, dans lequel elle raconte la disparition de son frère. Elle y reproduit sa dernière lettre et évoque un avis de service paru dans les journaux, annonçant un « service religieux […] célébré à 10 heures le 11 septembre 1942 pour le repos de l’âme de Robert Cloarec, décédé à Rouen à l’âge de vingt-neuf ans ».
C’est à ce stade de nos recherches qu’un troisième outil intervient : l’Internet. Sachant que la famille Cloarec habitait Morlaix, il était probable que cet avis de service soit paru dans L’Ouest-Éclair, et nous l’avons retrouvé en 2010 dans l’édition brestoise du quotidien, sur le site du journal Ouest- France. Les recherches sur le net sont surtout utiles et indispensables pour assurer la perpétuation de la mémoire. Au premier rang des outils concernant les cheminots, il faut consulter le site de l’association Rail et Mémoire qui rédige et met en ligne des notices biographiques de cheminots victimes du nazisme. Robert Cloarec n’y apparaît pour l’instant que dans la notice consacrée à René Béchepay. Le site Mémorial GenWeb, consacré aux « relevés de monuments aux morts, soldats et victimes civiles, français et étrangers, tués ou disparus par faits de guerre, morts en déportation, ‘Morts pour la France’ » permet de retrouver quatre monuments ou plaques sur lesquels figurent le nom de Robert Cloarec. Ils se trouvent au Grand-Quevilly sur le site de l’ancien stand de tir du Madrillet où eut lieu l’exécution, dans le hall de la gare de Rouen Rive-Droite, dans la cour de l’immeuble de la fédération de Seine-Maritime du parti communiste français à Rouen, et sur le monument aux morts du cimetière de Sotteville-lès-Rouen, non loin des Ateliers de Quatre-Mares. Un troisième site particulièrement dédié « Lieux du souvenir ferroviaire », auquel œuvrent le Cercle généalogique des cheminots, Rail et mémoire et l’AHICF, est en en cours d’élaboration.
Nous pouvons finalement dresser un tableau, certes lacunaire, de la carrière à la SNCF, des activités résistantes de Robert Cloarec, des circonstances de son arrestation et de son exécution, alors que nous ne disposions au départ que d’une allusion à un « frère fusillé comme otage ». Le travail actuellement entrepris par l’équipe du Livre-Mémorial des cheminots victimes de la répression, dirigée par Thomas Fontaine, permettra sans doute d’enrichir les données actuellement disponibles.
Lucienne Cloarec s’est éteinte au mois de février 2013, à l’âge de 98 ans.
Fiche Fondation de la Résistance :
http://www.fondationresistance.org/pages/accueil/ images/recherchesfamilialesvdef.pdf
Archives américaines :
http://www.archives.gov/ dc-metro/college-park/, recherche en ligne : par mot clé « Escape and Evasion Reports » puis « Moriarty »
Archives SNCF :
http://www.archives-historiques. sncf.fr/spark_archives/spark/login Musée : http://evasions.par.mer.carantec.filiere.sibiril. over-blog.com/
Site d’un chercheur privé publiant la liste des membres des réseaux d’évasion français cités par les aviateurs rentrés : http://wwii-netherlands-escapelines. com/french-helper-list/, voir « Cloarec »
Rail et Mémoire :
http://railetmemoire.blog4ever. com/
GenWeb :
http://www.memorial-genweb. org/~memorial2/html/fr/resultpatro.php
- Pierre Laborie, Le Chagrin et le venin. La France sous l’Occupation, mémoire et idées reçues, Paris, Bayard, 2011.
- Antoine Lefébure, Les Conversations secrètes des Français sous l’Occupation, Paris, Plon, 1993.
Archives exposées
Régions et départements, ces derniers « autorités organisatrices » des chemins de fer qui portaient leur nom sous la Troisième République, manifestent un regain d’intérêt pour un type de transport qui répond à deux préoccupations actuelles majeures : l’énergie et l’écologie.
La preuve en est, outre le programme d’événements et de publications par lequel la Bretagne commémore le 150e anniversaire de l’arrivée du rail à Saint-Brieuc, Guingamp et Quimper (1), en attendant Brest dans deux ans, les trois expositions réalisées par les archives départementales de la Somme à Amiens (Prochain arrêt, la Somme. Trois siècles d’histoire des chemins de fer, 15 septembre - 9 décembre 2012), du Morbihan à Vannes (Sur les rails du Morbihan 1850-1947, 15 juin - 19 avril 2013) et de la Sarthe au Mans (L’Aventure du rail en Sarthe, des origines à la régionalisation, 5 juillet - 15 septembre 2013), lesquelles ont obtenu l’appui inconditionnel des collectivités locales, en premier lieu de leur conseil général respectif. Elles ont donné lieu à la publication de beaux catalogues, véritables miroirs des documents insoupçonnés qui dorment dans les réserves des archives locales (tant départementales que municipales ou autres) dans l’attente de leur exploitation.
Soulignons ici la contribution croissante apportée à ce type de manifestation par les Archives historiques de la SNCF, établies au Mans. Outre une forte collaboration apportée à L’Aventure du rail en Sarthe, elles ont été sollicitées par le Conseil général du Val d’Oise (au même titre que les Archives départementales du Calvados et de la Seine-Maritime) pour l’élaboration de l’exposition Terminus, la mer !, qui s’est tenue au château d’Auvers-sur-Oise du 30 mars au 1er septembre 2013. Consacrée à l’essor
(1)- Sur les manifestations organisées à Guingamp (http://www. cc-guingamp.fr/accueil/infos/150ans-train.pdf) et à Saint- Brieuc (http://medias.tourism-system.fr/6/c/87623_depliant_ expo-train.pdf). Page SNCF : http://www.sncf.com/fr/presse/ fi l-info/150ans-guingamp-quimper. Publication : Jean-Pierre Euzen, L’Arrivée du chemin de fer en Bretagne Nord, Riveneuve éditions, juin 2013, 124 p. balnéaire aux XIXe et XXe siècles, cette exposition a notamment permis aux Archives historiques de la SNCF de mettre en lumière leur importante collection d’affiches touristiques.
Quoique moins visible, l’apport de l’AHICF n’en est pas moins réel, même si elle est sollicitée loin en amont des productions (notamment pour l’élaboration de bibliographies). Autre façon pour nous de participer à ce mouvement qui multiplie les ouvrages de qualité et développe l’intérêt du public pour nos sujets : la journée d’étude L’Aventure du rail dans l’Ouest de la France : réseaux, hommes et métiers organisée 13 septembre 2013 à l’abbaye de l’Épau, sur les lieux même (et en appui) de l’exposition L’Aventure du rail en Sarthe.
Ces ouvrages son présents dans le fonds documentaire de l’AHICF :
- Florence Charpentier, Xavier Daugy, Elise Franque, Prochain arrêt la Somme. Trois siècles d’histoire des chemins de fer : Exposition du 15 septembre au 9 décembre 2012, Archives départementales de la Somme, 2012, 27 p.
- Stéphanie Catteau, Florent Lenègre, Bénédicte Piveteau, Sur les rails du Morbihan 1850-1947, Archives départementales du Morbihan, 2012, 120 p.
- [coll.], L’ Aventure du rail en Sarthe : des origines à la régionalisation : Catalogue de l’exposition, Conseil Général de la Sarthe, 2013, 160 p.
- Marie Cécile Tomasina, Henri Zuber, Terminus la mer! : Exposition à l’Orangerie sud du Château d’Auvers, SEM Château d’Auvers, 2013, 30 p.
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