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SUR LES RAILS DE

L'HISTOIRE

Rails & histoire, l'Association pour l'histoire des chemins de fer vous propose de plonger dans l'histoire des chemins de fer au travers de nombreux domaines (législatifs, techniques, commerciaux etc...).Ces thèmes et dossiers seront amenés à évoluer au fil du temps : regroupements ou nouvelles déclinaisons pour les premiers, enrichissements pour les seconds.

La dépose des voies ferrées pendant la Seconde Guerre mondiale (2e partie)

Dernière mise à jour : 17 mars 2021

Gilles Degenève


Les « réquisitions » allemandes (1942-1944)


Les années 1942-1944 font l’objet de la partie la plus détaillée de notre travail de recherche compte tenu de l’importance prise alors par le kilométrage des déposes – plus de trois fois supérieur au total réuni du tableau 1 (lignes déferrées en 1940-1941 pour les besoins du service et de la Défense nationale) et du tableau 2 (contributions de 1941-1942 à la construction du « Méditerranée-Niger ») (*) – et du contexte historique sensible dans lequel il se situe. Bien que le terme de « réquisition » ne soit jamais employé dans la correspondance officielle, c’est bien sous cette appellation que le phénomène est le plus souvent désigné. Son souvenir tenace s’est ancré dans la mémoire collective, à tel point que l’opinion publique attribue toujours par erreur (soixante-dix années après les faits) la mise à voie unique ou la suppression complète de lignes à cette requête contraignante qui a été mise en application à compter de l’été 1942, alors qu’elles se situent en dehors de ce contexte. Nous tenterons en conclusion de trouver une raison à cette démarche réductrice et historiquement inexacte qui nécessite un réexamen des sources officielles permettant seules de se préserver de ces contrevérités.


(*)- Voir Les Rails de l’histoire n° 4, avril 2013.


Le point de départ du dispositif peut être daté du 23 juin 1942, lorsque Hans Münzer, président de la Hauptverkehrsdirektion de Paris, transmet au gouvernement français la consigne d’inviter la SNCF à livrer à la Deutsche Reichsbahn 2 500 km de voie à prélever sur l’ensemble de son réseau. Dès le lendemain, accusant réception de la requête, le ministre des Communications, Robert Gibrat, confirme qu’il sera donné satisfaction dans toute la mesure du possible à cette demande grâce au démantèlement projeté de certaines lignes fermées à tout trafic et, conformément à une décision prise quelques jours plus tard, d’anciennes installations militaires. Les premières décisions ministérielles de dépose sont prononcées dès le 1er juillet 1942. Elles s’échelonnent jusqu’au printemps 1944, tout en restant pour leur majorité concentrées entre juillet 1942 et avril 1943.


En fait, répondre aux exigences allemandes s’avère vite difficile. Deux raisons majeures à cela. La première résulte de la raréfaction des lignes fermées à tout trafic qui avaient fourni jusqu’alors l’essentiel des rails de réemploi, situation qui conduit à s’orienter vers la mise à voie unique de lignes à double voie, voire à leur suppression totale (ou encore à la mise à double voie de sections exploitées à quatre voies). La seconde découle de l’extension des réquisitions aux Régions SNCF de l’Est et du Nord jusqu’alors épargnées, glissement à l’origine de tractations serrées avec l’occupant peu enclin à accepter des décisions pouvant porter atteinte à ses propres intérêts stratégiques. Il refuse ainsi en novembre 1942, puis au début de l’été 1943, la dépose de 2 245 km qui avaient pourtant fait l’objet de décisions ministérielles régulières. Ces difficultés sont perceptibles dans la cadence du travail de dépose effectué par des entreprises françaises rémunérées en conséquence : d’intense dans les semaines qui suivent les premières décisions de l’été 1942 (jusqu’à 90 km par semaine), elle s’amenuise progressivement pour ne plus atteindre que 15 km en fin d’année. Et, pour le premier semestre 1943, les autorisations de dépose ne portent plus que sur 388 km, soit le quart à peine des six derniers mois de 1942. On arrive ainsi, par le jeu des additions, à la somme théorique au 30 juin 1943 de 1 912 km ayant fait l’objet d’une autorisation de dépose, dont 1 704 km effectivement déferrés. La tendance au ralentissement s’accentue au cours du second semestre 1943 : 102 km de déposes supplémentaires officiellement autorisées, 225 km de voie démantelés. Le Service des installations fixes de la SNCF pour l’année 1943 confirme globalement ces données : il indique la dépose au 31 décembre 1943 de 1 930 km pour 2 000 km autorisés, dont 1 780 km réellement expédiés (1 050 km en 1942, 730 km en 1943).


Le ralentissement observé en 1943, outre les restrictions apportées par l’occupant aux propositions de la SNCF, traduit également l’aspiration croissante du gouvernement français à mettre un frein aux prélèvements compte tenu de la situation économique délicate du pays. Le 6 septembre 1943, Jean Bichelonne, en charge du ministère des Communications depuis novembre 1942, fait savoir au chef de la délégation française à la Commission d’armistice pour les Communications qu’il n’est plus raisonnablement possible de déposer de nouveaux tronçons de voies sans causer à l’économie nationale un préjudice excessif. Il lui demande d’obtenir de ses interlocuteurs allemands qu’ils se satisfassent du programme de dépose entériné au 15 août, à défaut qu’ils procèdent à un nouvel examen des lignes refusées par eux jusqu’à atteindre le quota des 2 500 km arrêté primitivement. On ignore l’accueil fait à cette requête. Si aucune proposition de dépose n’est faite au-delà du mois d’août – les travaux de démontage poursuivis sur le terrain tout au long du second semestre 1943 le sont en conformité avec des décisions antérieures –, deux nouvelles décisions officielles tombent les 18 janvier (20 km) et 4 février 1944 (146 km). Ce seront les dernières.


En effet, le 21 mars 1944, le président de la SNCF, Pierre Fournier, informe Bichelonne de l’épuisement progressif des stocks de matériel de voie dû aux récents bombardements des grands triages des Régions Nord et Ouest. Évoquant l’impossibilité de l’industrie nationale à répondre aux besoins de l’entreprise, il fait part de l’obligation faite à celle-ci d’effectuer des prélèvements sur les installations existantes. Une situation qui, à ses yeux, implique de mettre fin au plus vite aux réquisitions allemandes. L’intervention de Bichelonne auprès des autorités allemandes porte enfin ses fruits. Le 12 avril, Ernst Wintgen, depuis un mois à la tête de la HVD, fait savoir que le ministère des Communications du Reich à Berlin consent à ce que les déposes cessent jusqu’à nouvel ordre et que les voies déjà démontées mais non encore cédées restent à la disposition de la SNCF pour servir à la réfection des installations endommagées. Il en sera ainsi de la deuxième voie de la section de Neufchâteau à Pagny-sur-Meuse, comprise dans le décompte de l’ultime décision ministérielle du 4 février précédent. Une mesure insuffisante, semble-t-il, puisque, en ce même mois d’avril, Fournier réitère à deux reprises la nécessité de nouveaux démantèlements et propose de déferrer un nouveau contingent de 116 km de voie, à des fins strictement internes cette fois-ci. Quoi qu’il en soit, au 30 avril 1944, sur 2 167 km de dépose autorisée, 1 996 km auront été effectivement déposés et 1 889 km livrés à l’Allemagne.


À l’automne 1944, au cours de leur repli, les Allemands procèdent encore, unilatéralement, au démantèlement de l’une des deux voies des tronçons de Montbéliard à Belfort dans le Jura (qui ne sera complètement remise en service qu’en 1947) et de Bruyères à Saales dans les Vosges (qui ne retrouvera pas, quant à lui, sa seconde voie). Le tableau n° 3 présente la liste des lignes qui ont fait l’objet d’une décision ministérielle de dépose officielle entre les mois de juillet 1942 et février 1944. Le tronçon de Montbéliard-Belfort est classé dans le dernier tableau car d’un point de vue administratif cette section était encore gérée par la Région Sud-Est lors de cette transformation.


Il nous faut pour être complet inclure également les modifications intervenues sur la partie de l’Alsace- Moselle exploitée par la Deutsche Reichsbahn : 41 km pour la mise à deux voies du tronçon quadruplé Avricourt-Sarrebourg, 26 km concernant la mise à voie unique de Courcelles-sur-Nied à Téterchen ainsi que la suppression des 3 km du raccordement de Saverne ; puis ajouter la longueur de l’ensemble des raccordements ainsi que des voies dites « de garage » et qui représente un total de 254 km.


Sous-total du tableau 3 = 2 172,5 km se décomposant ainsi : 1 848,5 km représentant la somme des Régions + 70 km provenant de lignes ex-AL et 254 km de raccordements et voies de garage (1).


Quel a été, outre-Rhin, l’emploi des matériels prélevés ? Difficile de répondre précisément à cette question. Les éléments de réponse dont nous disposons, essentiellement de sources françaises, font état d’une réutilisation sur le front est, explication somme toute la plus logique compte tenu du contexte de l’époque. Deux documents datés de 1943 cautionnent cette thèse, le premier relatif à la mise à voie unique de la section Arches- Remiremont (« Les rails et tout le matériel ont été acheminés sur le front de l’Est »), le second, moins formel, à la suppression totale du tronçon Mussidan-Bergerac (« Ce matériel serait destiné à la Russie »). Le Rapport sur les événements caractéristiques de l’exercice 1945, établi en 1946 par la Région SNCF de l’Est, est tout aussi unanime : « Les Allemands avaient, à partir de 1942 et jusqu’à la Libération, déposé pour les besoins de leurs opérations militaires, notamment en Europe orientale... » Il est suivi en ce sens par le document La Région de l’Est de la SNCF de 1939 à 1945, publié en 1947, qui note que les nécessités de la guerre, « en particulier l’avance des troupes allemandes en Russie », ont conduit l’occupant à opérer des déposes de voies. Côté allemand, cette affirmation est corroborée par le courrier déjà évoqué du 12 mars 1944 dans lequel Ernst Wintgen fait savoir que le ministère des Communications du Reich est « d’accord pour que d’autres rails ne soient plus déposés et expédiés jusqu’à nouvel ordre pour l’Est ».


(1)- C’est le cas, entre autres, des « garages actifs » qui doublaient les voies principales de l’artère Paris-Rouen entre Vernon et Gaillon-Aubevoye, ainsi que de la courte antenne du Champ de courses à Maisons-Laffitte, classée officiellement comme voie de raccordement


Bilan de la dé pose des voies ferrées 1942-1944


Pour chacune des Régions SNCF, le décompte kilométrique s’établit de la manière suivante :

Tableau

N.b. : la classification officielle en deux catégories (voies principales et voies de service, dites de garage à l’époque) des installations prélevées a pour conséquence de ne pas faire correspondre ces chiffres avec les totaux isolés du tableau 3. En vertu de ce principe, certaines voies qui ont bien été démontées au titre des prélèvements imposés par l’Allemagne ont été regroupées sans être détaillées à l’intérieur des 254 km au final du tableau 3 (pages suivantes)


À suivre : la dernière partie de cette étude sera publiée dans le prochain numéro des Rails de l’histoire, avec des compléments sur www.ahicf.com.


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