Gilles Degenève
La Reconstruction du réseau (1944-1949)
L’obligation de reconstruire au plus vite le réseau, conjuguée à la faiblesse de l’industrie nationale au sortir de la guerre, conduit la SNCF à établir et à poursuivre jusqu’en 1948 (1) un nouveau programme de dépose de voies ferrées. Tout comme pour les « réquisitions » effectuées au bénéfice de l’occupant, les choix de la SNCF doivent être entérinés par une décision officielle émanant conjointement des ministères des Transports et de la Guerre (2). Ce qui n’empêche pas les absences de concertation, source de tiraillements. Alors que la première décision de dépose au titre de la reconstruction est prononcée le 24 octobre 1944, l’état-major déplorera ultérieurement de n’être pas systématiquement consulté et donc de se trouver parfois devant le fait accompli d’une dépose à laquelle son 4e Bureau (transports) aurait souhaité surseoir en raison du caractère stratégique de l’itinéraire concerné. C’est le cas notamment pour la mise à voie unique de la ligne de Rouxmesnil à Eu, réalisée en octobre 1944, dont il se plaît à rappeler qu’elle avait connu un sort identique à l’issue de la Grande Guerre. Fin 1944, 420 km de voie sont désignés pour être déferrés et réemployés à la reconstruction.
(1)- Et même 1949 si on prend en compte la remise en service du tronçon stratégique Roeschwoog-Wintersdorf, ainsi que la mise à voie unique de la section sud de la Petite Ceinture.
(2)- Un autre intervenant sera, jusqu’en 1947, la Commission interalliée des chemins de fer.
La reddition de l’armée allemande le 7 mai 1945 permet à la SNCF de se mettre durablement à l’oeuvre tout en profitant des destructions pour revoir à la baisse la consistance du réseau. Précisons toutefois que certaines lignes ont été « sacrifiées » moins par volonté délibérée que du fait de la dépense liée à la reconstruction de leurs ouvrages d’art. On peut citer comme exemples, en Normandie, les deux courtes sections de Feuguerolles-Saint-André à Mutrécy et de Saint-Aubin-du-Vieil-Évreux à Prey, ou encore, en Lorraine, la partie centrale de la stratégique Metz-Anzeling-Guerstling. À l’inverse, de nombreuses lignes de la Région Est doivent au maillage très dense des itinéraires stratégiques, désormais superflu, d’être amputées.
Le 9 novembre 1945, juste retour des choses, le ministre des Transports et des Travaux publics, René Mayer, demande au gouverneur militaire de la Zone française d’occupation en Allemagne, le général Koenig, de bien vouloir faire procéder, au profit de la France, à la récupération de 800 km de voie afin de contribuer à la remise en état du réseau national. Cette requête, partiellement honorée à compter de l’année suivante, se traduit par la mise à voie unique définitive des tronçons Tuttlingen- Horb (ligne Stuttgart-Zürich) et Germersheim- Pirmasens-Nord et celle, provisoire, de la section Offenbourg-Fribourg-en-Brisgau, maillon pourtant vital de la grande artère Francfort-Bâle. Cette disposition permet de récupérer dans un premier temps quelque 200 km de voie.
Fin 1945, le cumul des voies mises hors service depuis l’été 1944 atteint 1 438 km. La démarche se poursuit les années suivantes, sous l’oeil toujours attentif du 4e bureau de l’état-major qui, à deux reprises, les 18 novembre 1946 et 23 octobre 1947, réitère son appel à une concertation permanente. Son deuxième rappel à l’ordre vise l’exécution d’un nouveau programme de dépose portant sur 545 km soumis par la SNCF le 6 juin 1947 pour pallier l’insuffisance des contingents de voie à prélever en zone d’occupation. Quelques semaines plus tard, le directeur du Service technique des installations fixes s’engage à faire donner des instructions aux directeurs des six Régions pour qu’ils n’entreprennent pas ou cessent les prélèvements sur les sections de ligne jugées stratégiques par l'état-major. En définitive, les programmes de dépose ont concerné 174 km en 1946 et 572 en 1947, soit un total de 2 184 km depuis l’été 1944, équivalent donc aux réquisitions allemandes.
En 1948, l’amélioration de la situation économique du pays et la capacité de l’industrie nationale à fournir la SNCF en rails permettent d’envisager la fin des prélèvements de voies. Mieux, conformément au souhait exprimé le 22 décembre 1947 par la Commission militaire supérieure des chemins de fer, le ministre des Travaux publics transmet le 15 mai 1948 à son homologue de la Défense nationale une liste des sections qui pourraient, sans plus attendre, faire l’objet d’une remise à double voie (200 kmenviron). Dans le même temps, la réfection de plusieurs ouvrages d’art s’accompagne parfois encore de la décision de mise à voie unique des tronçons de ligne qui les portent : c’est le cas sur l’Ouest des tronçons de Saumur à Thouars (viaduc de Saumur) et de La Chapelle-sur-Erdre (Nantes) à Saint-Joseph (Châteaubriant) (viaduc de la Jonnelière), ou bien sur l’Est de la section de Bouzonville à Guerstling. Ce qui explique que le recensement des voies ferrées destinées au démontage ne s’élève plus qu’à 50 km pour les deux années 1948 et 1949. Ainsi s’est amorcé un renversement de tendance qui a replacé le service Voies et Bâtiments de l’époque dans la bonne direction. Et si la SNCF remet en oeuvre après 1950 plusieurs programmes de mise à voie unique, au moins s’agit-il d’un choix délibéré qui, bien que quelquefois discutable, ne lui a pas été dicté par des circonstances dramatiques comme cela a été le cas tout au long de la période étudiée.
Pour quelles raisons continue-t-on à attribuer par méprise à la puissance occupante la quasi-totalité des déposes de la période de guerre, alors que les faits démontrent avec évidence que seule la période été 1942-printemps 1944 a été concernée par cette disposition ? Une réflexion globalisante et simplificatrice est sans doute à l’origine de cette assimilation fautive. Même si le poids de la rancœur née de l’Occupation ne suffit pas à expliquer ce glissement, il est vraisemblable que ce souvenir solidement ancré ait contribué à ce raisonnement réducteur teinté d’inexactitude.
Le tableau 4 donne la liste des sections de lignes de la SNCF dont la dépose a été prononcée au bénéfice de la reconstruction du réseau, tandis que le tableau 4 bis reprend celles ayant fait l’objet d’une réhabilitation.
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