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SUR LES RAILS DE

L'HISTOIRE

Rails & histoire, l'Association pour l'histoire des chemins de fer vous propose de plonger dans l'histoire des chemins de fer au travers de nombreux domaines (législatifs, techniques, commerciaux etc...).Ces thèmes et dossiers seront amenés à évoluer au fil du temps : regroupements ou nouvelles déclinaisons pour les premiers, enrichissements pour les seconds.

Porteur ! Porteur !

Une gare sans porteurs de bagages était pour nos aïeux chose inimaginable. Nous avons essayé ici d’en savoir un peu plus sur cette corporation, en restreignant toutefois notre étude aux gares parisiennes, les premières concernées par leur importance, et à la période de l’entre-deux-guerres caractérisée par la mainmise de l’entreprise privée sur la profession et les efforts de la toute jeune SNCF pour en reprendre le contrôle.

Bruno Carrière


« Voyageurs, voyageuses, pensez qu’à partir de demain [1er juin 1939] quand vous appellerez dans les gares parisiennes : « Porteur ! Porteur ! […] vous ne lui devrez plus de pourboire, mais vous paierez le portage de vos colis suivant leur nombre et d’après un tarif uniforme. » À l’exemple des autres titres de presse, Le Journal ne peut faire l’impasse sur la disparition d’une règle ancrée depuis le début des années 1920 qui voulait que les « porteurs des gares » n’aient d’autres revenus pour vivre que les pourboires consentis par les voyageurs et laissés à leur discrétion. Pour mieux comprendre le pourquoi et le comment de cette réforme, il est nécessaire de rappeler les liens qui existaient entre les anciens réseaux, la toute jeune SNCF et la corporation des porteurs, regroupés en 1938 au sein de deux sociétés privées et de deux coopératives.


Avant toute chose, il faut savoir que c’est au lendemain de la Première Guerre mondiale que les anciens réseaux ont progressivement délégué à des intérêts privés le portage des bagages jusqu’alors assuré dans les gares par un personnel spécifique – sous-facteurs aux bagages, commissionnés ou non – directement recrutés et rémunérés par leurs soins. Début 1938, donc, la SNCF hérite de contrats dont les plus importants intéressent les gares parisiennes, de loin les plus rémunératrices. Deux de ces contrats impliquent des sociétés privées : la Société générale des entreprises Thivel (SOGET), qui règne sur les gares du Nord de l’Est, d’Austerlitz et d’Orsay, et L’Entreprise ferroviaire (EF), maîtresse de la gare de Lyon. Seules leur échappent les gares du réseau de l’État, aux mains de deux coopératives ouvrières, La Collaboratrice à Montparnasse, Les Porteurs de gare à Saint- Lazare.


La SOGET et l’EF s’étaient imposées au début des années 1920. Outre le portage des bagages, ces sociétés avaient progressivement étendu leurs activités à d’autres secteurs de l’économie ferroviaire, tels la manutention des colis et le nettoyage des voitures. Cette sous-traitance avait été vivement dénoncée en son temps. Prenant prétexte de la cession à « l’agence Thivel » du service des bagages à main, puis de la manutention des bagages enregistrés de la gare Saint-Lazare (1), L’Humanité avait titré dans son édition du 3 mars 1924 : « Le Réseau de l’État cédé par morceaux à l’industrie privée. » Organe officiel du Parti communiste français, le journal L’Humanité s’était tôt intéressé au sort des porteurs. Le 11 juillet 1923, elle avait ouvert ses colonnes au secrétaire de la Fédération unitaire des cheminots, Pierre Sémard. Dans un papier au titre particulièrement éloquent : « Le règne des mercantis. Comment on exploite les porteurs des gares », celui-ci s’en était pris violemment à Thivel et à ses méthodes : « L’agence Thivel ne débourse rien, elle n’a qu’à encaisser ce que ses esclaves lui apportent et lui rapportent […]. C’est bien là ce qu’il est convenu d’appeler l’exploitation de l’homme par l’homme, et c’est un scandale que nous nous appliquerons à faire disparaître, pour aujourd’hui, nous le dénonçons. »

L’Humanité, 11 juillet 1923.

De fait, L’Humanité n’eut de cesse de porter à la connaissance du public les conditions de travail des porteurs. Un autre de ses articles, en date du 7 septembre 1924, signé Jean Durail, un pseudonyme bien opportun, et intitulé : « Qu’est-ce que l’Agence Thivel ? », nous apprend que cette entreprise, constituée au sortir de la guerre « par l’association de deux membres de la même famille », avait été intronisée sans aucune procédure d’adjudication. Il nous informe ensuite des modalités qui présidaient à l’embauche des porteurs : « Ils doivent d’abord se présenter nantis de leur casier judiciaire au bureau central, situé quai n° 1, gare du Nord. Là, ils sont reçus par le représentant patronal, lequel est un ancien chef de bagages retraité du nom de Courtois, qui, au dire des porteurs eux-mêmes, est un véritable bouledogue tout dévoué à ceux qui le payent grassement. Celuici a la tâche d’indiquer au postulant à l’emploi de porteur que sa charge ne comporte aucun salaire défini. Seuls les pourboires, déduction faite du pourcentage indiqué plus haut [6 %], constituent la rémunération. De plus, le porteur s’engage à être continuellement à la disposition de l’agence, c’est-à-dire que la durée du travail est illimitée. Il peut être occupé, pendant les heures creuses ou la nuit, au nettoyage des salles sans rétribution spéciale. » Durail estime que la majorité des porteurs accomplissent journellement de 12 à 18 heures de présence, en violation flagrante des lois en vigueur et plus particulièrement de la loi des 8 heures. Il évalue à 800 le nombre de porteurs employés par Thivel, dont 150 pour la seule gare de Saint-Lazare (2).


Poursuivant son enquête (L’Humanité, 15 septembre 1924), Durail nous renseigne sur l’organisation qui régissait le travail des porteurs. Ceux-ci étaient répartis au sein d’équipes de 10 à 12 personnes, chacune dirigée par un sous-brigadier qui avait pour mission de contrôler la bonne exécution du travail mais aussi, et surtout, de veiller à ce que chaque porteur lui remette l’intégralité des pourboires perçus, dont il inscrivait scrupuleusement le montant dans un carnet de comptes. Les équipes étaient globalement chapeautées par un ou deux brigadiers-chefs. De l’aveu même de Durail, si certains de ces cadres remplissaient leur rôle avec conscience et sans excès, d’autres étaient « des créatures toutes dévouées à l’agence », à l’exemple de M. Lambert, brigadier-chef à Saint-Lazare, signalé « comme modèle du parfait chien de garde des intérêts patronaux ». Les porteurs étaient informés la veille de leur emploi du temps du jour, calqué sur le départ et l’arrivée des trains. Tout retard supérieur à cinq minutes lors de la prise de service conduisait à une mise à pied pour la journée, plusieurs retards à la révocation. Ils étaient astreints à « une très grande déférence » dans leurs rapports avec les voyageurs : interdiction d’imposer leurs conditions ou de réclamer s’ils jugeaient le pourboire insuffisant. Tout manquement à cette règle se traduisait par un renvoi immédiat. Des « mouchards » étaient rétribués pour traquer les éventuelles dérives et pour vérifier que les montants des pourboires étaient bien ceux remis aux sous-brigadiers. Bien entendu, toute adhésion à un mouvement revendicatif – en 1925 naît une ébauche de « Syndicat des Porteurs » – était également synonyme de renvoi immédiat.

Le Matin, 16 juillet 1930.

Que devenaient les pourboires centralisés entre les mains des sous-brigadiers ? L’examen des discussions autour de la proposition de loi déposée le 17 janvier 1928 par Justin Godart (3), proposition qui visait à « réglementer le contrôle et la répartition du pourboire dans les hôtels, restaurants, cafés, brasseries, etc., et généralement dans tous les établissements commerciaux où existe la pratique du pourboire », nous livre quelques précisions. Le document le plus précieux est le rapport adressé par le Syndicat confédéré des porteurs de gare qui spécifie : « Chaque fois qu’un pourboire lui est remis, le porteur le donne à son chef d’équipe. Celui-ci groupe les pourboires de son équipe et, le soir, il en donne le montant au patron. Il en est de même pour chaque équipe constituée. La recette entière de la gare étant faite, le patron s’octroie la part qui lui convient, le reste est partagé entre les porteurs, les chefs d’équipe, les surveillants. Tel entrepreneur prélève 6 % [Thivel, pour les services des gares du Nord et de l’Est], tel autre 25 % [Vidal (4), pour le service de la gare de Lyon]. » La redistribution ne touche que le personnel présent dans la journée.


Ces prélèvements sur les pourboires étaient destinés, de l’aveu même des concessionnaires, à faire face aux frais de fonctionnement de l’entreprise, mais surtout à couvrir les risques sérieux que comportait le service : accidents corporels dont les porteurs pouvaient être les victimes ou qu’ils pouvaient causer aux tiers (voyageurs, agents) ; avaries occasionnées aux objets transportés et au matériel des compagnies ; garantie des pertes et vols des colis. Cela en contradiction avec la loi du 9 avril 1898 qui interdisait et punissait toute retenue opérée à cette fin sur le salaire des ouvriers, la couverture des risques incombant aux entreprises.


Le procédé était d’autant plus choquant que le réseau de l’État versait à l’entreprise Thivel une allocation journalière de 1,50 franc par porteur et une indemnité forfaitaire annuelle de 59 francs pour fourniture d’uniforme, alors que, dans les faits, les porteurs étaient invités à s’équiper à leurs frais (5). Il est vrai qu’en retour le réseau exigeait de l’entreprise Thivel que ses porteurs exécutent gratuitement des travaux annexes, tel le balayage des quais et des salles d’attente. Précisons ici que l’entreprise Thivel suivait les règles communes à tous les concessionnaires.

Encyclopédie par l’image - Les chemins de fer, Paris, Hachette, 1935.

Reste que la loi Godart, promulguée le 19 juillet 1933, ignora le sort des porteurs de gare. Cela bien que leur syndicat, consulté lors des débats, se fût prononcé contre tout prélèvement sur les pourboires et pour l’extension de leur répartition aux hommes en repos régulier. Faisant fi de ces prétentions, Thivel avait même poussé l’hypocrisie jusqu’à brandir en 1929 une pétition en faveur du statu quo signée de l’ensemble de son personnel, mensonge habilement accompagné d’une diminution du taux de prélèvement sur les pourboires porté de 6 à 5 %.


Mais, ne reculant devant rien, Thivel avait, peu après, avisé ses employés qu’il passerait à 12 % à partir du 1er juillet 1930 afin de couvrir les cotisations imposées par l’application des assurances sociales (maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès) – loi dite d’« escroquerie » votée le 30 avril (6). Une prétention insupportable pour les quelque 450 porteurs des gares du Nord et de l’Est qui avaient décidé aussitôt de gérer eux-mêmes les pourboires et de ne reverser à leur employeur que les 5 % initiaux. Thivel avait répondu par le renvoi immédiat de douze de ses plus anciens serviteurs et avait entrepris un renouvellement complet de son personnel, n’hésitant pas à recourir à des annonces par voie de presse (Le Matin, 16 juillet 1930). Au terme d’un peu plus de deux semaines de conflit, Thivel, convoqué au ministère des Travaux publics pour s’expliquer, avait pu affirmer que l’affaire était close, nouveaux embauchés et anciens repentis ayant accepté d’adhérer au nouveau contrat.


C’est dans ce contexte que les « commissionnaires porteurs », qui œuvraient depuis 1925 au sein des gares Saint-Lazare, Montparnasse et Invalides, avaient sollicité et obtenu du réseau de l’État, en juillet 1930, une reconnaissance officielle par la signature d’une convention liant légalement les deux parties. Indépendants, quoique agréés individuellement par le réseau, les porteurs étaient regroupés au sein d’une coopérative ouvrière de production, l’Artèle, qui gérait les pourboires selon le même principe que l’entreprise Thivel, mais librement. Cependant, chacun ayant voix au chapitre, des problèmes de gestion, notamment du point de vue des sanctions, avaient conduit le réseau de l’État à dénoncer l’accord en février 1931. Il avait été rétabli deux mois plus tard en faveur de La Collaboratrice, nouvelle coopérative ouvrière supervisée par un directoire limité à quelques hommes issus de l’Artèle. Plus tard, une scission s’opéra, aboutissant à la création d’une seconde coopérative ouvrière : Les Porteurs de gare qui, en octobre 1936, se vit attribuer le service de portage de la gare Saint-Lazare. À la différence des entreprises de portage, les deux coopératives ne recevaient aucune subvention du réseau de l’État. En revanche, elles étaient rémunérées pour les travaux de manutention et nettoyage que le réseau leur confiait, les sommes ainsi perçues servant à couvrir les charges liées aux assurances sociales et autres. Intervint alors la loi du 2 avril 1937 qui interdit, enfin, tout prélèvement sur les pourboires. Cette mesure mettant en péril les finances de la SOGET et de l’EF, les réseaux sont contraints de prendre à leur compte les charges salariales et primes d’assurances diverses qui incombaient jusqu’alors aux concessionnaires. Additionnées à l’allocation de 1,50 franc qui continue à courir, les nouvelles dépenses s’établissent en moyenne à 12-13 francs par porteur/jour (7), non compris celles liées à l’habillement et à la fourniture des produits de nettoyage. Soit une charge supplémentaire globale que la SNCF estimera en 1938 à plus de deux millions de francs. Les modifications aux contrats initiaux sont actées par la signature d’avenants (un par gare). D’une durée d’un an, ils courent du 1er février 1937 au 31 janvier 1938 pour ceux de la SOGET, du 15 juin 1937 au 14 juin 1938 pour celui de l’EF. Pour ne pas être en reste, les coopératives La Collaboratrice et Les Porteurs de gare obtiennent du réseau de l’État la garantie qu’il leur octroiera des travaux pour un minimum annuel, respectivement, de 300 000 et 200 000 francs. Succédant aux réseaux le 1er janvier 1938, la SNCF ne pouvait laisser durer cette situation. Le 9 mars, son comité de direction est saisi d’un projet visant à substituer aux pourboires un « tarif de portage », à l’exemple de celui mis en place depuis peu à la gare de Boulogne- Maritime à l’initiative de la chambre de commerce locale. Le barème des tarifs envisagés est fixé de façon à ne pas excéder le montant des pourboires habituellement versés par les voyageurs (en moyenne 2,29 francs pour un colis et 6,50 francs pour trois colis). Il s’établit comme suit :

- bagages à main : 3 francs pour le premier colis, 2 francs pour chacun des colis suivants, les parapluies et cannes ne donnant pas lieu à rémunération ;

- bagages enregistrés ou à enregistrer et bagages en douane : 5 francs pour le premier colis (majoration imposée par une mobilisation plus longues des porteurs – 35 minutes contre 15 minutes – et une manutention plus pénible), 2 francs pour chacun des colis suivants.


Le nombre de bagages à main confiés à un porteur ne doit pas excéder quatre ; au-delà, le voyageur doit faire appel à un second porteur. Cette restriction ne concerne pas les bagages enregistrés ou à enregistrer et bagages en douane, le travail faisant appel à un engin, chariot ou diable.


Le comité de direction approuve le barème, non sans avoir repoussé une disposition qui voulait que les bagages à main manutentionnés entre 22 h le soir et 5 h le matin fissent l’objet (pour le premier colis seulement) d’un supplément de 2 francs.


Le but visé est triple : réduire la participation financière de la SNCF en attribuant aux entreprises concessionnaires la totalité des recettes ; offrir aux porteurs (y compris à ceux des coopératives ouvrières) l’assurance de toucher un salaire régulier qui les mettrait à l’abri des fluctuations de trafic (8) ; éliminer les sources de conflit avec les voyageurs.


La recette escomptée par la perception des tarifs de portage est de l’ordre de 60 francs par porteur/jour (pourboire de 2,29 francs x 25 colis/jour en moyenne). Si elle a de quoi couvrir largement les salaires calculés au plus haut à 55 francs/jour, elle ne suffit pas à répondre aux charges qui pèsent de nouveau sur les concessionnaires, charges égales à 16,08 % du salaire, soit 8,84 francs. L’insuffisance était donc de l’ordre de 3 à 4 francs par porteur/ jour (55 F + 8,84 F = 63,84 F – 60 F = 3,84 F), loin cependant de l’allocation de 12-13 francs par porteur/jour arrêtée en 1937. En dépit de ce dernier sacrifice, la SNCF est en droit d’attendre une économie annuelle de plus d’un million de francs.


Approché dès le mois suivant, le ministre des Travaux publics tarde à donner sa réponse. Il est probable que l’initiative de la SNCF n’emporte pas l’adhésion de tous. De fait, ses services refusent l’homologation des tarifs, prenant simplement acte de leur existence le 1er août. Ce retard, qui a conduit à la prorogation tacite des contrats en cours, est un mauvais coup porté à la SNCF qui doit se montrer plus conciliante. Le résultat des appels d’offres qu’elle lance alors – le marché a été divisé en quatre lots – est sans appel. Le critère de sélection portant sur le montant de l’indemnité porteur/jour, les candidats s’emploient à ce qu’elle soit le plus élevée possible.


Sont retenues :

- la Société générale des entreprises Thivel (SOGET) pour les gares du Nord et de l’Est ;

- la Société générale de manutention du Midi (SMM) pour les gares de Lyon, d’Austerlitz et d’Orsay (9) ;

- la coopérative ouvrière Les Porteurs de gare pour la gare Saint-Lazare ;

- la coopérative ouvrière La Collaboratrice pour la gare Montparnasse. La SOGET et la SMM obtiennent d’être rétribuées à hauteur de 13 francs par porteur/ jour pour la première et 10,50 francs pour la seconde, donc à un niveau pratiquement équivalent à celui des allocations précédentes.


Les deux coopératives réussissent de leur côté à arracher un tarif pour les prestations annexes (7,90 francs de l’heure par homme) avec reconduction du minimum garanti de


(1)- À cette date, l’agence Thivel était titulaire des marchés des gares parisiennes du réseau de l’État (Saint-Lazare, Montparnasse, Invalides).

(2)- En 1929, Thivel parle de 810 porteurs répartis dans 110 gares appartenant aux différents réseaux, exception faite de celui de l’État.

(3)- De mouvance radicale-socialiste, Justin Godart (1871-1956) fut maire de Lyon, député et sénateur du Rhône. Il assura également plusieurs fonctions ministérielles, notamment celles de ministre du Travail, de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociale (1924 -1925) et de ministre de la Santé publique (1932) au sein des gouvernements Herriot.

(4)- Remplacé par l’Entreprise ferroviaire à compter du 1er juin 1934.

(5)- « Chaque porteur, en outre de son uniforme composé d’une casquette, d’une blouse, d’un pantalon, d’une ceinture et d’une courroie, porte sur le bras gauche un brassard avec plaque numérotée, pour permettre aux voyageurs d’identifier facilement celui qu’ils occupent » (lettre de Thivel du 31 janvier 1929 adressée à la commission chargée d’examiner la proposition de loi de J. Godart).

(6)- La loi faisant reposer les cotisations tant sur les patrons que sur leurs employés, les assurances sociales furent mal accueillies par le monde ouvrier et furent à l’origine de multiples grèves.

(7)- Les montants varient selon les gares en fonction du nombre d’agents et de jours de présence. Les coopératives intègrent les pourboires dans le calcul des salaires.

(8)-Les statistiques montrent, en outre, conséquence de la crise économique qui frappe le pays, une demande moindre de la part des voyageurs, évaluée à un tiers par rapport aux mois antérieurs à juin 1936.

(9)- Service de portage supprimé à Orsay au lendemain de la déclaration de guerre en raison du report du trafic grandes lignes sur Austerlitz.

Le Petit Parisien, 16 mai 1939.

Les nouveaux traités sont actés pour trois ans à compter du 1er juin 1939. Cette date marque aussi l’entrée en vigueur du nouveau régime de rémunération des porteurs qui, aux dires même de Le Besnerais, directeur général de la SNCF, n’a donné lieu « à aucune difficulté, ni du côté du public, ni du côté des porteurs ». Évincée en 1939, l’Entreprise ferroviaire réapparaît deux ans plus tard en se substituant à la SOGET et à la SMM, qu’elle absorbe sans coup férir le 1er juillet 1941. Cette fusion, sans doute dictée par les difficultés économiques du moment, est aussitôt suivie par une demande conjointe de l’EF et des deux coopératives visant à compenser les récentes majorations des charges patronales (estimées à 20,1 %), soit par une augmentation de leurs redevances, soit par une réévaluation des tarifs de portage. La SNCF opte pour la seconde solution, arguant du fait que les tarifs de portage n’ayant pas été homologués échappaient à la hausse générale de 20 % des tarifs voyageurs et marchandises en vigueur depuis le 28 juillet 1941. De fait, elle obtient l’application, à compter du 6 octobre, d’une augmentation des tarifs de portage de l’ordre de 25 %, supérieure donc aux revendications des entreprises concessionnaires. Le nouveau barème s’établit comme suit : 4 francs pour le premier colis, 3 francs pour le second et 2 francs pour chacun des deux autres. La tarification des bagages enregistrés ou à enregistrer et des bagages en douane reste inchangée.

Départ du rapide de Marseille, gare de Lyon, 1947. Photo Fénino, Photorail-SNCF.

La marge ainsi dégagée permet du même coup à la SNCF de prendre sa revanche en se dégageant entièrement de toute participation financière au service du portage. Elle impose à l’EF de renoncer aux redevances par journée de porteur et aux deux coopératives qu’elles abandonnent la garantie financière attachée aux travaux. Ces dispositions font l’objet d’un nouveau traité avec l’EF et d’avenants avec les deux coopératives. Leur durée est de trois ans à partir de la mise en application la nouvelle grille des tarifs. L’opération semble bénéficiaire, l’économie attendue étant de l’ordre de 1 700 000 francs. Par comparaison, la première année d’exécution des contrats de 1939 s’était soldée pour la SNCF par le versement de 1 200 000 francs d’indemnités porteur/jour. Mais l’effacement de cette allocation a pour conséquence la disparition de la clause qui voulait que l’EF, en compensation, s’acquitte gratuitement de certaines tâches, qu’il faudra désormais lui acheter aux conditions faites à La Collaboratrice et aux Porteurs de gare, soit sur la base de 9,75 francs par heure.


Le conseil d’administration de la SNCF donne son accord à la nouvelle combinaison le 10 décembre 1941. C’est sans compter sur la commission des marchés qui estime contraire aux intérêts de l’entreprise que les nouveaux traité et avenants aient été passés de gré à gré, et demande en conséquence que soit lancé au plus vite un appel à la concurrence. Le conseil d’administration approuve, mais entend recueillir au préalable l’avis des autorités allemandes pour qui l’EF et les deux coopératives assurent des missions de portage régulières en ville et de gare à gare (voir encadré).


Or l’occupant fait savoir qu’il n’est pas prêt à changer d’interlocuteurs. En conséquence de quoi, le conseil d’administration décide le 6 mai 1942 de surseoir à toute adjudication « jusqu’à nouvel avis ». En retour, il obtient de l’EF qu’elle s’engage à nouveau à assurer gratuitement un certain nombre de travaux annexes à hauteur de 50 heures par semaine, soit 12 heures pour chacune des gares de l’Est et de Lyon et 26 heures pour la gare d’Austerlitz.

Départ du Simplon-Orient-Express, gare de l’Est, 1947. Photo Fénino, Photorail-SNCF.

L’occupant allemand, un marché lucratif


Les travaux dits de « Portage allemand »


« Le présent rapport serait incomplet s’il n’était fait mention des opérations de portage effectuées par l’Entreprise ferroviaire pour le compte de l’armée d’occupation. On sait, en effet, que l’Entreprise ferroviaire a été autorisée par les Bahnofoffiziers [sic], semble-t-il à l’instigation et plus ou moins sous la direction du Bahnoffizier de la gare de l’Est, à porter les bagages des militaires de l’armée d’occupation qui se rendent d’une gare à une autre ou d’une gare en ville ou inversement. L’Entreprise ferroviaire emploie à ce service, soit des porteurs spéciaux, soit des porteurs chargés du service de portage de la SNC, et cela le jour où ceux-ci sont de repos. Il faut considérer que ces opérations sont extrêmement rémunératrices pour les porteurs en question car les soldats et officiers allemands donnent des pourboires très généreux qui, pour une course déterminée, sont facilement de 1 à 2 RM. « D’après les constatations que j’ai pu faire sur place et dont j’ai donné connaissance au directeur général de l’Entreprise ferroviaire, qui ne les as pas contestées, le service fonctionne de la manière suivante : pour une course déterminée, chaque porteur reçoit de l’Entreprise ferroviaire une heure de salaire et 2 tickets de métro. Or le tarif approuvé par les Autorités allemandes varie de 20 à 50 frs la course selon la distance. On peut donc considérer que chaque opération de portage allemand coûte à l’Entreprise ferroviaire environ 15 francs et lui rapporte en moyenne 25 francs. Quant au porteur, on peut estimer qu’il perçoit en moyenne de 30 à 40 francs par course. Ce sont donc là des opérations très largement rémunératrices, et pour l’Entreprise ferroviaire et pour le porteur. Il est même tout à fait certain que l’Entreprise ferroviaire réalise des bénéfices plus substantiels par ses opérations de portage allemand que par ses opérations de portage officiel.



« J’ai cherché avec ténacité à savoir de l’Entreprise ferroviaire quelle était l’importance des bénéfices que lui procuraient les opérations de portage allemand. J’ai fini par obtenir du directeur général de l’Entreprise ferroviaire l’indication qu’en 1941 les opérations de portage allemand auraient comporté environ 1 million de dépenses et 1 500 000 fr. de recettes, d’où un bénéfice brut d’exploitation des 500 000 fr. « Ces indications, que je n’avais pas la possibilité de contrôler, me paraissent devoir être très largement inférieures à la réalité. Elles impliqueraient, en effet, que le nombre des opérations de portage allemand est en moyenne de moins de 200 par jour, ce qui me paraît bien faible, compte tenu de ce que j’ai constaté sur place dans les différentes gares de Paris. »

-

Rapport sur l’ « Exécution des travaux de portage dans les gares de Paris par l’Entreprise Ferroviaire », mai 1942. Centre national des archives historiques SNCF, 0505LM0342-006.


La coopérative ouvrière


La Collaboratrice La Collaboratrice se présente en 1941 comme « une coopérative ouvrière de production anonyme à capital et personnel variables qui a pour objet l’organisation du travail dans les services auxiliaires des gares ». Lors de sa formation le 2 février 1931, elle avait son siège social à Saint-Lazare et exploitait le service de portage de bagages dans les gares Saint- Lazare, Montparnasse et Invalides. Suite à la création de la coopérative Les Porteurs de gare en 1936, elle se transporte à Montparnasse, son seul champ d’exploitation depuis lors.


En dehors du service de portage, elle fournit la main-d’oeuvre nécessaire à la manutention des bagages à la consigne arrivée moyennant une rémunération fixée par contrat. Depuis décembre 1940, en réponse au vœu réitéré des voyageurs, elle assure un service de portage à domicile et de gare à gare des petits et moyens colis. Ce service fonctionne uniquement à la demande des clients.


La Collaboratrice est gérée par un directeur général, qui a reçu les pleins pouvoirs du conseil d’administration, secondé par un chef de service. Son effectif est de 111 personnes (novembre 1941), à savoir : le directeur, le chef de service, 5 brigadiers et 104 porteurs (*). Sur ces 111 personnes, seules 33 sont « porteurs de parts sociales » (sociétaires). Les autres constituent « le personnel saisonnier susceptible d’être débauché au fur et à mesure de la baisse du travail ».


« La forme de la société apparemment libérale n’exclut nullement l’idée de discipline, qui est extrêmement sévère. Seul le candidat présentant toutes garanties d’honorabilité et en possession d’un cahier judiciaire vierge peut prétendre être embauché. »


Le personnel est réparti en cinq équipes, chacune commandée par un brigadier. La rémunération est égale pour tous et s’effectue journellement : chaque matin les brigadiers remettent au chef de service les feuilles de recettes de la veille ; après vérification, celui-ci détermine le prélèvement à faire pour couvrir les charges sociales et statutaires suivant un pourcentage établi à l’avance ; le reste est réparti entre tout le personnel présent le jour considéré, y compris les hommes de repos et les cadres.


Les pourboires sont pris en compte, quoique leur part soit en nette diminution : « Au cours des derniers mois de l’année 1940 et des quatre premiers mois de l’année 1941, le porteur arrivait à faire un certain chiffre de pourboire qui améliorait sensiblement sa journée ; mais aujourd’hui, il ne faut plus y compter ou presque. »


Sur un an, du 1er octobre 1940 au 30 septembre 1941, la part salariale moyenne a été de 63 francs par jour (pour un effectif moyen de 49 hommes) constituée comme suit :

- 37 % du portage de bagages à l’intérieur de la gare ;

- 29 % du portage en ville ; - 18 % du portage allemand et de gare en gare ;

- 12 % des pourboires ;

- 4 % des travaux de manutention rémunérés.


Les frais et charges ont absorbés 37 % des recettes annuelles globales.


(*)- Dans le même temps, L’Entreprise ferroviaire revendiquait 174 employés ainsi répartis : 30 en gare de Paris-Est, 35 en gare de Paris-Nord (28), 38 en gare de Paris-Lyon, 71 en gare de Paris-Austerlitz. Le nombre de porteurs y était respectivement de 25, 28, 30 et 60.

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Centre national des archives historiques SNCF, 0505LM0342-006.


Les devoirs des porteurs de l’Entreprise ferroviaire


En octobre 1941, le conseil d’administration de la SNCF prend connaissance d’une note sur les nouvelles conditions d’exécution des traités liant l’entreprise aux concessionnaires des services de portage de bagages dans les gares parisiennes. En annexe à cette note figure le projet du nouveau contrat à passer de gré à gré avec l’Entreprise ferroviaire (EF) chargée de ces services dans les gares de l’Est, du Nord, d’Austerlitz et de Lyon. Extraits.


Article 2 :

« Les Porteurs sont affectés, dans l’enceinte de la gare, au service personnel des voyageurs ; ils se tiennent à la disposition des voyageurs pour le transport des bagages entre les cours de la gare et les salles d’enregistrement ou de consigne, d’une part, entre les salles de consigne ou de livraison et les cours de la gare, d’autre part, ainsi qu’entre les salles de consigne et les salles d’enregistrement ; ils sont chargés, en outre, toujours sur la demande des voyageurs, de porter leurs colis à la main :

- au départ, jusqu’aux salles d’attente et aux trains ;

- à l’arrivée, jusqu’aux voitures, dans la cour de la gare. »


Article 5 :

« Les Porteurs ne sont admis dans une gare que revêtus d’une tenue uniforme en parfait état de propreté, comportant une blouse et un pantalon en toile, une ceinture en toile, un brassard ou plaque numérotée, une casquette avec l’inscription «porteur», une courroie en cuir. »


Article 6 :

« Les Porteurs doivent s’abstenir de toute annonce à haute voix ou de toute sollicitation de nature à importuner les voyageurs ; ils doivent être polis et réservés dans leurs rapports avec le Public, conserver la plus grande correction dans leur tenue et s’abstenir de fumer dans la gare ; il leur est formellement interdit :

a) - de fournir aux voyageurs des renseignements sur les hôtels ;

b) - de faire passer les voyageurs par d’autres issues que celles par lesquelles s’effectuent normalement l’entrée et la sortie du Public et de leur faire traverser les voies ;

c) - de monter sur le marchepied des voitures avant l’arrêt des trains ;

d) - de se prêter d’une manière quelconque à tout acte contraire aux intérêts du chemin de fer et aux Règlements de Police concernant le service des gares. »


Article 7 :

« L’Entreprise ferroviaire s’engage à ne recruter que des agents de nationalité française […]. L’Entreprise ferroviaire ne pourra, pendant la période du 1er mars au 15 novembre de chaque année, utiliser comme main-d’oeuvre non qualifiée aux travaux faisant l’objet du présent traité, des travailleurs, salariés ou non, appartenant aux professions agricoles ou forestières ou d’artisanat rural. Il est entendu expressément qu’elle n’affectera au service des Porteurs que des candidats ayant fourni de très bonnes références et ayant toujours fait preuve d’une moralité excellente. »


Article 8 :

« L’encaissement de la somme due est effectué par les Porteurs qui remettent aux voyageurs un ticket extrait d’un carnet distributeur, qui indique le montant de la perception et le numéro du porteur. » - Centre national des archives historiques SNCF, 0505LM0342-006.

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